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la vraie raison de sa répugnance à s’éloigner de l’Angleterre. Il se décide à parler de sa cousine. M. Winchester cherche dans l’amour de George pour Susan Merton un argument à l’appui de tout ce qu’il lui veut persuader depuis deux heures. « Ah çà! s’écrie-t-il, où en êtes-vous donc? On ne va pas en Australie pour y laisser ses os, on va en Australie pour faire de l’argent et revenir ici se marier. C’est là ce qu’il faut que vous fassiez. »

Tout un côté de la civilisation anglaise se révèle dans cette demi-page, et dès le début nous sommes appelés à constater cette « identité » dont parle Emerson. Voilà deux individus nés aux deux extrémités de l’échelle sociale, qui, dans une circonstance analogue, non-seulement finissent par faire la même chose, mais la font de la même manière et y sont amenés par les mêmes sentimens. Le « mode d’expansion, » pour répéter les paroles du philosophe américain, est « identique. » Le gentilhomme ne pense pas un seul instant que ce qui est bien pour lui ne puisse pas l’être pour un individu placé dans une tout autre position sociale, mais qui, en tant qu’Anglais, est son pareil, et doit nécessairement le comprendre. Il ne faut jamais oublier ce que cette homogénéité de caractère prête de force de cohésion à un peuple, ni quelle est l’inébranlable solidité d’une nation dont toutes les classes s’entendent à demi-mot. Dans l’exemple que nous avons sous les yeux, et qui est essentiellement typique, que voyons-nous? Deux individus que tout ce qui est conventionnel sépare, mais qui se rapprochent, parce que tous deux, en tant qu’hommes, en tant qu’appartenant à ce qu’Alfieri a nommé « la plante humaine, » représentent à égal titre la jeunesse anglo-saxonne.

On s’est beaucoup occupé de la jeunesse depuis quelque temps, et, à dire vrai, la littérature d’imagination de ces derniers vingt ans en France n’a guère eu d’autre thème; mais peut-être s’est-on trop complu à peindre ce qu’on avait sous les yeux et autour de soi, et n’a-t-on point assez réfléchi que ce qu’on semblait offrir au lecteur comme l’image de la jeunesse en général, de la jeunesse de l’homme même, ne représentait qu’une fort petite fraction de l’humanité, ne se rapportait par le fait qu’à la jeunesse française. Nous croyons qu’il y aurait avantage, pour moraliser les Français, à étudier la jeunesse des autres pays, et à voir si partout comme en France l’homme cherche à échapper à son printemps, à dessécher de parti pris ses premières années, et à demander une fausse sagesse à une vieillesse précoce, comme si ce qui est généreux ne pouvait absolument être raisonnable.

La jeunesse a sa sagesse comme l’âge mûr, et sa sagesse à elle, c’est l’énergie. Or c’est là précisément ce que savent les Anglais, et ce qu’en France nous persistons à vouloir ignorer. Il n’est pas rare de voir dans ce pays-ci des jeunes hommes mettre une grande