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jeune fille, dont la clôt n’est rien, mais qui fera par ses qualités l’orgueil de sa nouvelle famille, et peut seule donner le bonheur à l’héritier de tant de richesses. Ceci n’est pas tout : il n’y a là qu’un prétendu sacrifice qui n’en devrait point être; il y a une autre situation, où la responsabilité, bien autrement grande, n’est pas déclinée en Angleterre par les individus de l’un ou l’autre sexe : c’est le mariage sans fortune. Je ne parle pas ici de ces quelques mères de la haute fashion qui dressent leurs filles à s’assurer un mari titré et riche comme un nabab; d’ailleurs la façon dont elles servent de modèle à tous les romanciers et le ridicule dont on les accable témoignent combien leur travers particulier est loin d’être un travers national : je parle du peuple anglais dans son ensemble, et je dis, ce qui n’est pas contestable, que la société constituée et que les mœurs telles que nous les voyons en Angleterre reposent sur le mariage d’inclination.

La richesse des Anglais n’a rien à faire à tout ceci. Si les hommes riches se mariaient seuls par amour, la société en Angleterre ne s’en apercevrait pas, la race surtout n’en serait pas modifiée; la civilisation dès lors n’en ressentirait aucune influence. Les familles anglaises sont nombreuses, on le sait, et dans chaque famille un seul est riche. L’important donc, c’est de savoir comment se marient les cadets, et comment se marient tous ceux qui ne sont pas riches. Eh bien ! à qui prendrait-il fantaisie de le nier? tous se marient par inclination et travaillent vigoureusement pour assurer le bien-être à la femme aimée. Comment ne pas voir qu’ici il y a concordance parfaite entre les moyens et le but, et que le plus complet développement de l’être est obtenu précisément par le meilleur emploi possible, par l’emploi le plus véritablement sage de la jeunesse? Il serait donc hors de propos de parler du positivisme d’une race chez qui la société est entièrement fondée sur le mariage d’amour, car c’est se méprendre étrangement sur l’application des mots, et il serait difficile de prouver que dans un pays où le mariage d’inclination est d’une observance presque aussi étroite que le culte du dimanche, l’argent ne lut pas en effet subordonné à l’amour.

Il reste donc constant que l’amour n’est pas, parmi les Anglais, la passion des gens de loisir, une sorte de luxe qu’on a pu surnommer « la poésie de la vie, » mais que c’est bien au contraire une des principales sources de la vie même, et qu’inséparable de ce que le travail a de plus opiniâtre et de plus énergique, c’est un des agens les plus puissans et les plus constamment actifs de la civilisation anglo-saxonne. Quel est en effet le premier mobile de ce livre de M. Reade, livre que je considère comme le daguerréotype des mœurs anglaises dans toutes les classes? L’amour seul. La présence de ce sentiment est nécessaire à tous les acteurs du drame pour éta-