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Mais l’Angleterre à son tour a besoin d’envisager dans des vues plus libérales l’avenir du nord et du sud américains : elle doit prendre en patience et même en admiration une grandeur qu’elle ne peut arrêter, qu’elle n’a pas intérêt d’empêcher. Pourquoi essaierait-elle de gêner ou de discréditer chez un peuple issu d’elle ce qui a fait et ce qui fait chaque jour sa puissance et son rajeunissement à elle-même? l’Angleterre en effet, grâce à ses lois et à ses arts, est jeune encore; vous souvenez-vous du témoignage que lui rendait Mirabeau il y a plus de soixante ans, alors que, repoussant l’assertion étourdie d’un membre de l’assemblée constituante sur la perte prochaine de ce grand pays, il s’écriait avec son écrasante ironie : « l’Angleterre perdue! par quelle latitude, je vous prie, a-t-elle fait naufrage?... Je la vois au contraire active, puissante, sortant plus forte d’une agitation régulière, et venant de remplir une lacune de sa constitution avec toute l’énergie d’un grand peuple. » Ce qui se disait alors d’une loi de régence est aujourd’hui bien plus vrai d’une loi fondamentale, de cette réforme électorale dont l’Angleterre subit l’épreuve depuis bientôt vingt ans, sans que les forces vives de sa constitution aient été diminuées, sans que les élémens immortels qui en sont le ressort et l’âme aient cessé d’agir et de reparaître avec la même énergie.

Ces élémens, ce sont les anciennes conditions sociales de la vie anglaise et aussi la hardiesse d’action au dehors, la puissance d’expansion, de découvertes et de colonisation, qui tiennent à cette vie intérieure du peuple anglais. Que l’Angleterre conserve les principes sociaux et les institutions domestiques qui lui ont valu sa grandeur, mais qu’elle s’abstienne de contester ou d’envier à l’Amérique du Nord le droit d’imiter son action extérieure par une autre voie, et d’occuper aussi le monde inconnu ou barbare ouvert à ses entreprises. En cela, les États-Unis d’Amérique ne sont pas les ennemis de l’Angleterre, ils sont ses émules, ses délégués dans un autre hémisphère. Partant du même principe d’expansion démocratiquement développé, ils travaillent à la même œuvre de civilisation et de défrichement du monde, et rien ne fait supposer qu’avant des siècles peut-être ces deux fleuves, issus de même source, puissent se rencontrer ni se heurter.

Le choc en effet n’a pas eu lieu là où il semblait imminent. On a pu voir au contraire, dans cette occasion même, les deux nations reconnaître hautement leur identité de race. Le dévouement des hommes d’état anglais à leur pays est compris et respecté par les Américains. Un des serviteurs les plus actifs et les plus habiles de la politique anglaise, lord Elgin, jouit d’une incomparable popularité dans les états de l’Union. Il a pu sans combats regagner le Ca-