Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
479
REVUE. — CHRONIQUE.

tendres, de l’amitié, de l’amour, une délicatesse qui, pour être poussée jusqu’au raffinement et à une subtilité maniérée, ne dénotait pas moins un sentiment épuré de la vie morale. D’ailleurs elle vivait dans la plus grande compagnie et était en commerce avec tout ce qu’il y avait d’illustre, de même qu’elle réunissait dans les samedis du Marais les écrivains du temps, Conrart, Pellisson, Sarazin, qui ne manquaient point d’esprit dans un ordre secondaire. Quelques années n’étaient point écoulées cependant que les ridicules de Mlle de Scudéry faisaient plus de bruit que ses mérites. Le Grand Cyrus était mort sous une raillerie de Boileau ; on ne le lisait plus, on en avait même perdu le souvenir au XVIIIe siècle.

D’où vient cette rapide éclipse, si commune dans l’histoire littéraire ? C’est que tout avait changé, et que le Cyrus avait été bientôt suivi de la Princesse de Clèves. D’où vient enfin que M. Cousin s’éprend aujourd’hui d’une sorte d’amour nouveau pour ce roman célèbre et oublié ? C’est qu’il y voit ce qu’on y voyait au temps où il parut, ce qu’on n’y a pas vu depuis, toute une peinture de la société du XVIIe siècle sous le voile d’une fiction transportée en Asie. Mandane avec ses grands cheveux blonds, sa douceur et sa fierté, c’est la duchesse de Longueville. Les beautés des cours de Sardes et de Babylone sont les beautés de Paris. Artamène, c’est Condé lui-même. L’hôtel de Cléomire est l’hôtel de Rambouillet, à n’en point douter. En un mot, c’est tout ce monde d’autrefois, composé de guerriers, de gentilshommes, de grandes dames et de lettrés. C’est avec passion que M. Cousin revient toujours vers ce temps, qui lui a déjà fourni la matière de peintures éloquentes et neuves. De toute cette société cependant, il ne reste plus rien aujourd’hui. Nos dames ne font plus la fronde et ne vont plus aux Carmélites. L’hôtel de Rambouillet n’existe plus. Il y a bien des Cyrus, il est vrai, au moins pour le nombre des volumes ; mais la fleur, l’essence, l’esprit de ce monde du passé, tout s’est évanoui. C’est une autre vie qui s’ouvre, une vie plus mêlée, plus affairée, à qui il ne manquerait sans doute qu’un peintre comme M. Cousin pour la charmer, l’instruire et la redresser ; mais ce peintre peut-être se rencontrera-t-il dans deux siècles, et peut-être aussi fera-t-il son œuvre avec celui de nos romans que nous soupçonnons le moins, comme M. Cousin le fait aujourd’hui pour le XVIIe siècle avec le Grand Cyrus de Mme de Scudéry. Pourquoi trop désespérer ? Il y a parmi nous mille choses que nous ne savons pas voir, et que d’autres verront mieux. Malheureusement nous n’assisterons pas à cette résurrection.

Ch. de Mazade.


Histoire de la reine Marie-Antoinette[1].


La touchante physionomie de femme et de reine dont MM. de Goncourt se sont appliqués à nous rendre les véritables traits n’avait guère été observée encore avec l’attention calme et discrète qui est un des premiers devoirs de l’historien. Les informations exactes, les jugemens équitables sur Marie-Antoinette avaient jusqu’à ce jour été bien rares. Mme Campan elle-même, malgré l’honnêteté scrupuleuse qui distingue ses Mémoires, a porté dans ses appré-

  1. Par MM. E. et J. de Goncourt, 1 vol. in-8o.