Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les novateurs d’alors, vrais affranchis, sans frein et sans mesure, battirent des mains avec transport. Un enrôlé de plus venait grossir leurs rangs ! Scheffer entrait au parti de la grande couleur ! Il en avait assez de la pensée ! quelle joie dans Israël ! Par malheur, le public était moins enthousiaste ; il admirait la tête du Gaston, trouvait le reste assez triste, tournait le dos, et courait faire foule devant la Veuve du Soldat. Scheffer se garda bien d’écouter les applaudisseurs ; il fut de l’avis du public, et désormais ne s’amusa plus à crépir ses tableaux.

C’était un de ses dons, don précieux dans les arts comme à la guerre, que cette promptitude d’esprit qui d’un coup d’œil voit une fausse route, et qui sans marchander s’en détourne à l’instant. Toujours prêt à tout essayer, comme un homme qui s’enseignait lui-même, il était également rapide à ne pas s’entêter dans les guêpiers où il tombait. Aussi les Femmes souliotes n’avaient avec le Gaston aucune espèce de parenté : ce n’était ni la même brosse, ni la même main. Dans cette ébauche terminée que nous avions devant les yeux, la touche était déjà aussi lisse que limpide ; point d’empâtemens outrés, point d’ombres poussées au noir, une clarté fluide et harmonieuse sur toute la toile. S’il eût été possible de monter le tableau de ton sans rien détruire de ce premier effet, il en serait résulté une œuvre irréprochable. Aussi y avait-il des gens qui conseillaient à Scheffer de s’en tenir à ce qu’il avait fait. « Restez-en là, lui disait-on, n’y touchez plus. — En rester là, répondait l’artiste, autant vaudrait n’avoir pas commencé. Ce n’est pas seulement pour grandir mes figures que je quitte les petites toiles, c’est pour peindre autrement. Si je m’en tiens à cette préparation, on me dira qu’en grand comme en petit je ne fais toujours que de l’aquarelle. Je veux serrer de près la forme, accuser non-seulement les contours, mais les reliefs. Laissez-moi faire, j’en viendrai à bout. » Et en effet, à quelque temps de là, au salon de 1827, l’étonnement fut grand lorsqu’on vit ce tableau qui, par le caractère des têtes, par la touchante vérité et la profondeur des expressions, portait, encore évidemment le cachet de l’auteur, mais qu’on aurait dit peint par un autre, tant le changement était grand dans le procédé d’exécution, tant son pinceau net et moelleux reproduisait avec délicatesse aussi bien ces brillans accessoires, ces costumes aux broderies orientales, que les carnations variées de ces femmes, de ces jeunes filles, de ces charmans enfans. Les plus hargneux critiques, les plus grands ennemis du sentiment en peinture, avouèrent qu’il y avait progrès. Le fait était incontestable. Il est vrai que le peintre, pour en arriver là, avait fait à sa pensée première quelques légères infractions, jeté tout un côté de la scène dans l’ombre, et même dans