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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/531

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fixer dans le pays, il devait payer redevance à l’almami ou chef politique. Du reste, ces Toucouleurs indépendans, métis de noirs et de Peuls, qui composent aujourd’hui le fonds de la population du Fouta, tenaient à distance les Français avec autant de rigueur que les Maures, et ils déployaient contre nous toutes ces qualités, mêlées d’intelligence et d’énergie, qui élèvent quelquefois les races croisées au-dessus des types purs, aussi bien dans l’espèce humaine que dans les espèces animales. Ce n’est pas que leurs insultes restassent impunies. À la nouvelle d’une attaque, un navire de guerre partait de Saint-Louis, et remontait fièrement le Sénégal, distribuant à droite et à gauche des boulets et des obus. Quelques hommes étaient atteints, quelques villages brûlés. Le plus souvent les noirs évitaient les projectiles en se tapissant dans des trous creusés en terre, et quant aux villages, misérables groupes de huttes de paille et de boue, ils étaient bien vite reconstruits. Le dommage était à peu près nul, l’expiation dérisoire. Aussi le souvenir de la répression ou plutôt de la menace ne laissait-il pas plus de trace dans les esprits que le sillage du navire sur les eaux. Notre retraite attestait plutôt l’impuissance de nos colères que la force de nos armes. À Bakel, dans le haut du fleuve, la position de la France était un peu plus honorable, grâce à un fort armé de canons et habité par quelques soldats blancs ou noirs. Néanmoins là aussi les Maures, par de fréquentes incursions, troublaient notre commerce, enlevaient le troupeau du poste, assassinaient nos soldats isolés, arrêtaient et spoliaient les caravanes, rançonnaient les traitans.

Cette déplorable situation tenait à un ensemble de causes parmi lesquelles il faut compter au premier rang le renouvellement perpétuel des gouverneurs, puis les fautes graves commises par le commerce local, et dont on cherchait le remède dans de mauvaises et artificielles combinaisons.

Le renouvellement des gouverneurs du Sénégal a dépassé tout ce que les mœurs officielles de la France offrent de plus curieux en ce genre. Dans l’espace de quarante ans, de 1817 à 1857, on y a vu se succéder dix-sept gouverneurs titulaires qui ont administré pendant une période totale de vingt-cinq ans, et quinze intérimaires qui se sont partagé la durée des quinze années restantes. La durée moyenne de leur administration, si l’on retranche les deux derniers, a été de sept ou huit mois. Pour comble de mal, nul appui extérieur ne suppléait dans nos possessions à l’inexpérience des gouverneurs. Les ministères de la métropole n’avaient pas, en matière de colonisation, de doctrine traditionnelle qui survécût à leur passage éphémère au pouvoir, et l’esprit public n’en tenait pas lieu, car la nation française, déshabituée dés aventures lointaines par un demi-