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que cette disposition de l’âme à s’incliner sous la main de Dieu, — quand le destin l’emporte, — n’ôte rien à l’ardeur de la lutte, tout en relevant la défaite par une noble résignation. Au Sénégal même, l’indomptable hostilité des Maures musulmans témoigne trop bien que ce prétendu fatalisme n’énerve pas les caractères. Aussi disons-nous avec conviction que le gouvernement français, en édifiant des mosquées, en protégeant la libre pratique et le libre enseignement de cette religion, tant au Sénégal qu’en Algérie, fait acte non-seulement de tolérance éclairée, mais de juste et habile administration. Le sentiment religieux, même imparfait dans son expression, pourvu qu’il épure les âmes, ne saurait être suspect à aucun pouvoir. N’est-il pas plus sage de chercher dans le Koran les nombreux textes favorables à la tranquillité et à la morale publique, de les mettre en relief, que de supprimer le livre tout entier et ses meilleurs enseignemens, au risque de replonger les âmes dans l’idolâtrie ?

Nous ne voulons pas dire que la civilisation chrétienne doive, au Sénégal, se retirer devant la barbarie musulmane ; mais, au lieu d’écraser sa rivale sous le mépris et la persécution, elle doit l’éclipser par ses propres bienfaits. Et si les populations, pour des raisons que le climat et les traditions expliquent en partie, échappent à l’action bienfaisante de l’Évangile, on peut se féliciter que le Koran les recueille et les relève du fétichisme. Al-Agui est notre ennemi, non parce qu’il prêche la foi au Dieu unique et à Mahomet son prophète, mais parce qu’il veut élever pouvoir contre pouvoir. Son ambition politique seule incrimine son ambition religieuse. Simple marabout comme tant d’autres, prêchant la conversion aux infidèles et la réforme aux croyans, il serait un auxiliaire de notre œuvre sociale. Chef guerrier poursuivant les Français de ses haines et de ses armes pour fonder à leur place un empire, il devient un ennemi à chasser. Le combattre, le réduire, c’est notre droit ; mais, dans notre victoire, n’oublions pas que la société politique et religieuse dont il est l’apôtre serait, si elle se réalisait sous ses auspices, supérieure aux ébauches grossières de société qui étalent aujourd’hui, sur les bords du Sénégal, le triste spectacle de leur dégradation. Toute l’histoire de l’Afrique atteste la puissance de régénération que possède l’islam sur les peuples sauvages. Ayons donc souci que ces peuples ne perdent rien à notre triomphe.

Ainsi, par quelque côté que l’on envisage les affaires du Sénégal, par le commerce ou par la politique, l’établissement d’une société régulière se présente comme la vraie mission, le véritable et suprême intérêt de la France : la guerre y a sa place seulement comme moyen et prélude de la paix. La conclusion et l’organisation de cette paix seront l’objet d’une nouvelle étude.


JULES DUVAL.