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d’une si étroite étendue, il y a quelques mois, se célébrait le vingt-cinquième anniversaire du règne actuel, au milieu de la joie d’une population laborieuse, intelligente, accrue de près d’un million d’âmes, il était impossible de ne pas honorer la journée de Navarin, de ne pas en bénir et la pensée, et l’action, et le résultat. On le doit dans cet intérêt de progrès cosmopolite et d’équité sociale, dont la politique paraît préoccupée, et il semble aussi que la France, si justement fière de son rôle désintéressé et de sa persistance généreuse dans l’émancipation finale de la Grèce, en a recueilli plus d’un avantage qu’elle ne cherchait pas, qu’elle ne prévoyait pas d’abord. Le premier de ces avantages indirects, celui auquel la France a dû s’attacher par les sacrifices et par la perspective de l’avenir, ce fut cette prise d’Alger, devenue le point de départ d’une possession si vaste et le commencement d’un empire trop voisin de sa métropole pour en être jamais détaché. Ainsi le voulait sans doute la Providence : de tant de guerres, de tant d’immortelles victoires, de tant de territoires annexés par la conquête, il n’est resté à la France qu’une seule acquisition durable, qu’un seul agrandissement, celui qui nous fut donné par le contre-coup de la guerre la plus humaine et la plus libérale qu’un grand peuple ait jamais faite. Nul doute en effet que la journée de Navarin et la campagne de Morée n’aient singulièrement favorisé la conquête d’Alger : elles y préparèrent les Turcs, elles en donnèrent l’idée aux Français. Elles commencèrent, par la consternation de l’esprit musulman, cette grande révolution qui doit rendre un jour au christianisme et au génie des arts les plus beaux climats de l’Europe, comme le prévoyait, il y a bientôt trois siècles, le poète espagnol Herrera.


VILLEMAIN.