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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/671

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dans ma disgrâce. En arrivant à Rochefort, je trouvai mon père fort ému. Bien qu’heureux de me voir déchargé d’une odieuse mission, il ne me dissimula pas que, dans sa pensée, la mesure qui me frappait n’était que le prélude de persécutions plus graves. Mes camarades probablement partagèrent cette manière de voir, car presque tous s’éloignèrent de moi. Ils répandirent le bruit que j’étais destitué, et que mon nom allait être, définitivement rayé des listes de la marine. Triste et misérable penchant du cœur humain ! J’avais été pour eux un objet d’envie : ils trouvaient une sorte de compensation dans mon désastre. On ne peut perdre une position honorablement acquise par plusieurs années de bon service sans en être douloureusement affecté. Je souffrais horriblement de l’incertitude qui planait sur mon avenir, et j’aurais peut-être perdu courage, si je l’avais trouvé dans l’affection de ma famille les seules consolations sur lesquelles il faille en tout temps compter.

Mes perplexités heureusement eurent bientôt leur terme. Le 6 octobre 1797, le commandant de la marine me fit appeler, et en présence de tous les officiers qui deux fois par semaine se réunissaient chez lui en conférence, il me donna lecture d’une lettre du ministre de la marine aussi bienveillante que flatteuse pour celui qu’on croyait disgracié. Le ministre me félicitait de la campagne que je venais de faire sur les côtes de la Guyane, du combat que j’avais soutenu contre le Toscan, et m’appelait par la même dépêche à Paris. Le changement qui s’opéra dans la physionomie et l’attitude de tous les auditeurs ne saurait s’exprimer. Je ne trouvais plus que les amis empressés à me complimenter et à se réjouir de ma rentrée en faveur. C’est ainsi que je commençai l’épreuve douloureuse de la vie, et que j’appris avant l’âge de vingt-cinq ans ce que tout le monde sait trop bien à soixante.

À mon arrivée à Paris, je fus présenté au ministre de la marine, M. Pléville-le-Peley, par le directeur du personnel. Ce ministre me fit le plus gracieux accueil et m’entretint longtemps de la situation de la colonie de Cayenne. Il m’assura que la disposition qui m’avait privé du commandement de la Brillant « tenait à des mesures particulières que le directoire exécutif avait jugé convenable de prendre, et que j’avais toujours les mêmes droits à son estime. » En me congédiant, il m’assura qu’il chercherait et trouverait probablement bientôt l’occasion de me dédommager et de me mettre à portée de donner de nouvelles preuves de mes talens et de mon dévouement la république.

Je n’attendis pas longtemps l’effet de ces promesses. Moins d’un mois après avoir quitté la Brillante, je fus désigné pour commander une division composée de trois corvettes, la Gaieté, la Sagesse et