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pas cependant que ces belles corvettes eussent pu lutter de marche avec la Mignonne, un des bâtimens les plus rapides que j’aie jamais rencontrés.

La grande difficulté, sous la république, était moins d’armer un navire que de lui trouver un équipage. Les corsaires, je l’ai déjà dit, enlevaient à la marine de l’état ses meilleurs matelots. Les bons canonniers avaient disparu avec les fécondes institutions d’une autre époque, et le corps de l’artillerie de marine, réorganisé par le décret du 25 octobre 1795 (3 brumaire an IV), se trouvait encore insuffisant pour subvenir aux besoins de la flotte. À défaut de marins véritables on prenait des marins de rivière. Si haut que le flot de mars se fît sentir, l’inscription maritime exerçait avec rigueur ses droits. On complétait ainsi le chiffre des effectifs, et pendant que les corsaires avaient des équipages d’élite, nos frégates s’armaient avec des bateliers qui, de leur vie, n’avaient vu la mer, et que nous désignions par le sobriquet de chalandoux. Sous le rapport du personnel, tout était donc à créer à bord de nos bâtimens. Il eût fallu instruire l’équipage à la manœuvre des voiles et à celle de l’artillerie en même temps que le plier à la discipline militaire. Presque toujours on rencontrait l’ennemi avant d’avoir pu s’acquitter de ce soin. Les seuls bâtimens qui eussent le temps de dresser convenablement leurs recrues étaient ceux qui avaient pour destination les mers de l’Inde : n’arrivant dans ces parages qu’après une traversée de quatre ou cinq mois, ils s’y présentaient avec des équipages exercés à loisir. Aussi ne recevait-on de ces mers lointaines que des nouvelles de succès ou du moins de défenses opiniâtres qui contrastaient singulièrement avec ce qui se passait sur nos côtes. Il est rare que dans la guerre chaque événement n’ait pas son explication naturelle, mais il est plus rare encore que ce soit celle qu’on aille chercher.

Je hâtai de tous mes efforts la mise en rade de la Mignonne, prévoyant bien que la formation d’un nouvel équipage demanderait les plus grands soins, et sachant que dans le port il est impossible de songer à l’instruction de son personnel. Je comptais heureusement dans mon état-major plusieurs officiers de mérite. Grâce à leur concours, la frégate fut bientôt en situation d’entrer en campagne. Si le désordre d’un récent armement et l’inexpérience complète d’un équipage peuvent être la source d’inévitables revers, il ne faut rien exagérer pourtant et ne pas s’aller imaginer qu’un navire n’est point en mesure de combattre tant que son organisation n’a pas encore ce fini, ce parfait auquel tout capitaine doit avec raison aspirer. Quand un homme de cœur commande à de braves gens, il lui faut moins de temps pour les préparer à soutenir l’honneur du pavillon. Le nécessaire en marine n’est pas si compliqué qu’on le pense. On