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un brick qui les précédait d’environ une lieue. Cette division était sous les huniers, tous les ris pris, les mâts de perroquet dépassés. Avais-je rencontré la division espagnole ou la division anglaise ? Je crus avoir trouvé un excellent moyen de m’en assurer : sans diminuer de voiles, je gouvernai sur le brick ; la manœuvre de ce bâtiment m’indiquerait à qui j’avais affaire. Avant d’en être à portée de canon, je hissai le pavillon français. Le brick et toute la division qui le suivait arborèrent les couleurs espagnoles. Cependant, quand cet ennemi déguisé vit que nous persistions à courir sur lui, il n’osa pas nous attendre. Il laissa arriver pour se rapprocher du gros de l’escadre. Je ne doutai plus que les bâtimens en vue ne fussent anglais. Si j’avais d’ailleurs conservé quelque incertitude sur le parti qu’il convenait de prendre, ces bâtimens se chargèrent de la dissiper. En un instant, tout fut tumulte et activité à leur bord ; ils repassaient leurs mâts de perroquet, larguaient des ris à leurs huniers, et montraient l’intention évidente de me donner vigoureusement la chasse.

Je choisis naturellement pour m’éloigner l’allure que je jugeai la plus favorable à la marche de la frégate et la direction qui me rapprochait le plus des côtes de France. Nous recevions ainsi la brise par la hanche de bâbord. Il ventait encore très-grand frais et par grains. Je portais toute la voile possible, les bonnettes de hune et les perroquets. J’avais cependant la précaution de faire toujours tenir les drisses de ces dernières voiles à la main et de les amener chaque fois que la rafale devenait trop pesante. Dès le début de cette chasse, la Mignonne montra ce qu’elle savait faire. Nous eûmes une grande supériorité de marche sur tous les bâtimens qui s’étaient lancés à notre poursuite, à l’exception toutefois du brick, dont la vitesse se trouva au moins égale à la nôtre. Par bonheur, ce bâtiment eut l’imprudence de hisser ses bonnettes de perroquet, surcroît de voiles qui fit rompre dans un grain son petit mât de perroquet. Dès cet instant, le brick resta de l’arrière comme les autres. La nuit ne diminua pas l’ardeur de l’ennemi : il continua de nous presser aussi vivement que possible, espaçant ses bâtimens de manière à nous empêcher de nous dérober par une fausse route à sa poursuite. Notre sillage était considérable : nous ne filions pas moins de douze et treize nœuds à l’heure, et je commençais à m’inquiéter d’une vitesse qui nous portait avec une rapidité effrayante vers la côte du bassin d’Arcachon. J’avais fait carguer la grand’ voile : notre marche n’en était pas sensiblement diminuée. À l’approche du jour, le vent s’apaisa, et dans la matinée nous étions tout à fait en calme. La sonde ne donnait plus que quinze brasses d’eau, avec fond de sable. On apercevait les bâtimens ennemis à une grande distance dispersés