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m’avait si bien servi, et je priai l’amiral de ne pas demander pour moi d’autre commandement.

Les deux hommes les plus remarquables qu’ait possédés la marine de la république et de l’empire, les seuls qui auraient pu relever notre fortune, sont sans contredit l’amiral Bruix et l’amiral Latouche-Tréville. Après avoir été l’aide-de-camp du premier, le capitaine de pavillon du second, j’hésiterais à me prononcer entre eux. Tous deux avaient les mêmes passions et la même énergie ; cependant, s’il m’eût fallu assigner un rôle à ces deux hommes, j’aurais placé l’amiral Bruix à la tête du ministère de la marine, et l’amiral Latouche à la tête de la flotte.

La santé de l’amiral Bruix malheureusement était déjà déplorable. Cet officier-général ne put conserver le commandement de l’escadre qu’il venait de réunir en rade de l’Ile d’Aix. Les bureaux du ministère lui donnèrent pour successeur le contre-amiral Decrès, qui était alors préfet maritime à Lorient. Ces souvenirs ne sont pas une œuvre de rancune ou de médisance, — on l’aura peut-être remarqué déjà ; — mais il est certains noms qui appartiennent à l’histoire, et celui de l’amiral Decrès est du nombre. Je n’hésite donc pas à dire que, dans mon opinion, le long règne de cet homme d’esprit fut une calamité pour la marine. L’amiral Decrès avait soutenu un très beau combat sur le Guillaume-Tell. Il ne manquait ni de courage, ni d’instruction, ni même d’un certain fonds de bonté ; il manquait d’enthousiasme : c’était un sceptique et un railleur. Au lieu de ranimer la confiance des jeunes gens, il prenait plaisir à narguer leur ardeur. Il semblait qu’il eut toujours peur que quelque chose ne vînt à grandir auprès de lui. En réalité, cet administrateur si habile, ce courtisan si fin et si ingénieux était, pour l’époque surtout où nous vivions, le pire de tous les ministres.

Notre antipathie mutuelle fut prompte à se déclarer. On célébrait la fête de la république. M. Decrès invita à dîner tous les capitaines de l’escadre et les officiers-généraux du corps de troupes qu’on avait caserne à l’île d’Aix dans l’attente d’une expédition en Angleterre. L’ordre du jour prescrivait, outre les salves à faire, le simulacre d’un combat naval. Le vaisseau amiral le Foudroyant devait commencer le feu, et son premier coup de canon servirait de signal au reste de l’escadre. Nous étions arrivés à la fin du repas ; on porta un toast à la république, et tous les convives passèrent dans la galerie du vaisseau pour y jouir du spectacle qui leur avait été préparé. Le premier coup de canon du Foudroyant fut immédiatement suivi de celui de la Mignonne. L’amiral s’approcha de moi, et, me frappant sur l’épaule : « C’est très bien, capitaine, me dit-il. Je suis content de votre frégate. » Je m’inclinai pour remercier. « Mais,