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donné le moindre sujet, vous m’avez mis dans le cas de manquer au respect que les règles de la subordination m’imposaient envers un officier-général. »

Cette réponse faite, je saluai profondément, j’ouvris la porte de la chambre, et je me retirai, pâle encore d’émotion, sinon de colère. Certes je n’entends pas donner ma conduite en cette circonstance comme un bel exemple de discipline. Ce n’est point là cependant, si l’on veut bien y regarder de près, le genre d’indiscipline auquel on a pu avec juste raison attribuer souvent nos revers. Qu’un officier se montre soigneux de sa dignité et chatouilleux sur le point d’honneur, qu’il contienne à temps par sa fermeté les écarts d’une verve moqueuse ou les excès d’un tempérament irascible, je ne vois pas en quoi le service pourrait en souffrir.

Nous passions notre temps sur la rade de l’île d’Aix dans l’inaction la plus complète. On ne faisait aucune espèce d’exercices ; les exercices n’étaient guère de mode à cette époque-là, et cependant nous étions tous rigoureusement consignés abord. On ne pouvait obtenir que très rarement la permission d’aller se promener sur le triste rivage de l’île d’Aix, et encore cette faveur n’était-elle accordée qu’à quelques personnes des états-majors. Ce système de réclusion était déjà une imitation des usages anglais, mais les matelots anglais ont à bord de leurs navires d’autres conditions d’existence que les nôtres. Beaucoup de détails auxquels nous attachons une importance exagérée sont sacrifiés uniquement à leur bien-être. Sur ces vaisseaux, où on les retient quelquefois des années entières, ils sont du moins chez eux. On ne leur envie pas jusqu’à la place que leur corps occupe. On les voit presque constamment attablés dans les batteries, au milieu des ustensiles d’un modeste ménage, vaisselle de luxe si on la compare à nos gamelles et à nos bidons de bois, feuilletant gravement la Bible ou réparant à loisir leurs effets. Ces douceurs domestiques sont nécessaires à la race anglo-saxonne ; elles lui tiennent lieu de toutes les distractions qu’une caserne ou un bâtiment ne saurait offrir. Le marin français y attache au contraire peu de prix, et je ne sais trop si son indifférence à cet endroit n’est pas une de ses vertus militaires. En revanche, il est fort sujet à la nostalgie, et l’air de la terre lui est plus nécessaire qu’aux matelots d’outre-Manche. Un dégoût général ne tarda pas à envahir les équipages de l’escadre de Rochefort. Les hôpitaux ne désemplissaient pas. Les embarcations, que le service obligeait d’expédier à terre, étaient abandonnées par leurs canotiers, et en dépit de toutes les précautions le nombre des déserteurs ne cessait de s’accroître. On sentit la nécessité de chercher quelque remède à cet état de choses. Les vaisseaux étaient trop solidement embossés et trop peu manœuvrans