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difficile aujourd’hui de tenir le même langage. Tout est bien changé depuis quelques années. La fatigue et l’effroi ont disparu ; on réagit même contre cette défiance, plus d’une voix s’est élevée pour réveiller les esprits, et la philosophie a été mise en demeure de reprendre son œuvre interrompue. Elle l’a reprise en effet, elle la continue chaque jour avec zèle : que voyons-nous cependant au début de cette rénovation des hautes études ? La philosophie encore dominée par l’histoire, ou plutôt la philosophie invoquant le secours de l’histoire et substituant presque toujours l’interprétation des faits à la recherche dés lois abstraites. Il est donc bien avéré que c’est là une tendance de l’esprit humain au XIXe siècle. Qui pourrait d’ailleurs en douter ? Depuis Hegel jusqu’à nous, on voit toutes les grandes écoles donner chaque jour plus d’importance à l’étude du développement successif de la science. L’être, a dit Hegel, est un éternel devenir ; c’est ce devenir qu’il faut étudier, c’est ce continuel changement des choses qu’il faut suivre, et de là la nécessité de vérifier par l’histoire les spéculations de l’intelligence. On dirait que notre siècle s’est empressé d’obéir à cette prescription du philosophe de Berlin : il obéissait simplement à ses instincts, aux lois de la destinée, et le plus grand mérite de Hegel est d’avoir, le premier, mis ces lois en lumière. Est-il besoin de rappeler ici les beaux programmes d’histoire de la philosophie tracés, il y a trente ans, par M. Cousin ? A-t-on oublié le mouvement d’études qu’il a suscité, et cette vaste enquête qui se poursuit encore aujourd’hui sur les transformations de la pensée humaine dans le cours des âges ? Pour ne parler que de l’Allemagne, c’est sous la forme de l’histoire que les plus hautes sciences de l’esprit ont accompli leurs travaux depuis un demi-siècle. Théologie ou philosophie, philologie ou esthétique, toutes les œuvres de la pensée ont subi cette condition. Après la théologie dogmatique de Schleiermacher, on a vu paraître la théologie historique de M. Baur et de l’école de Tubingue ; après les études esthétiques de Schiller, l’histoire littéraire universelle si brillamment inaugurée par Guillaume Schlegel ; après la philologie abstraite du XVIIIe siècle, la philologie historique et vivante des Guillaume de Humboldt, des Franz Bopp et des Jacob Grimm. Encore une fois, cette préoccupation de l’histoire est un des caractères de notre époque, et les œuvres les plus importantes qu’ait produites l’Allemagne dans ces dernières années en sont une confirmation nouvelle.

De généreux esprits se sont demandé si cette prédominance de l’histoire aux dépens de la philosophie pure n’était pas un signe funeste, s’il n’y avait pas un sérieux danger à oublier ainsi l’étude des principes. Que devient la vérité absolue au milieu des choses fortuites dont l’histoire nous présente le tableau ? Cette question a