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des sciences naturelles[1]. Qu’est-que ce livre ? Encore une psychologie. L’homme, l’esprit de l’homme, les facultés de l’homme, tel est le sujet des recherches de M. Ulrici. Nous voilà bien loin du temps où la philosophie allemande accusait la timidité de l’école française ; cette psychologie qu’elle dédaignait pour une ontologie hasardeuse, elle est bien obligée d’y recourir aujourd’hui comme au seul moyen de salut. La psychologie de M. Ulrici est plus profonde, celle de M. Helfferich plus étendue : le premier étudie surtout la nature intime de l’âme, le second s’attache au développement extérieur de nos facultés ; tous les deux sont intéressans par la finesse et l’abondance des vues. Je les félicite l’un et l’autre, et particulièrement M. Helfferich, de s’être préoccupés de la clarté du style. Si les philosophes veulent rendre à leur science le crédit qu’elle a perdu, il faut qu’ils se résignent à parler la langue de tout le monde et à la parler selon les règles de la composition littéraire. Les à-peu-près, les vagues formules, compromettraient les pensées les plus justes.

On voit que le matérialisme de MM. Vogt, Moleschott, Büchner, et de leurs nombreux adhérens, n’a pas rendu un médiocre service à la philosophie allemande. Il l’a obligée à descendre de ses nuages pour étudier l’esprit humain. Nous pouvons lui appliquer, sans lui en faire un éloge, ce que Cicéron dit de Socrate : Philosophiam e cœlo evocavit. Il l’a obligée aussi à se débarrasser de son appareil pédantesque, et en la forçant de défendre la dignité humaine outragée, il a fait jaillir de son sein la source du sentiment religieux. Une psychologie profonde devait nécessairement ramener la science allemande à la notion d’un Dieu personnel. M. Ulrici et M. Helfferich, aussi bien que M. Fichte, sont animés de la plus haute inspiration religieuse. Il y a cent ans, lorsque la plate théologie du XVIIIe siècle mettait la religion en péril, Lessing s’empressa de porter secours au christianisme, craignant que la ruine des dogmes religieux n’entraînât la chute des vérités philosophiques. Il écrivait à son frère le 2 février 1774 : « Si la maison de mon voisin menace ruine et qu’il veuille la démolir, je lui viendrai en aide bien volontiers ; mais s’il ne veut pas l’abattre avec précaution, s’il veut, au contraire, la laisser tomber de telle manière qu’elle entraîne une maison qui est bonne et solide, afin de reconstruire ensuite la sienne sur tous ces débris, alors je vais lui porter secours et je soutiens malgré lui ses constructions chancelantes. » Ce n’est pas avec cet esprit de protection altière que MM. Fichte, Ulrici, Helfferich, défendent la cause de la religion ; ils ont compris que la philosophie et le christianisme

  1. Glauben und Wissen, Speculation und exacte Wissenschaft. Zur Versoehnung des Zwiespalts zwischen Religion, Philosophie und v wissenschaftlicher Empirie, von Dr Hermann Ulrici ; 1 vol., Leipzig 1858.