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beaucoup de médisances. Vous savez l’histoire de tous les mariages, l’origine de tous les procès, le chiffre approximatif de toutes les fortunes. Seulement il faudra renouveler de temps à autre connaissance avec la localité ; sinon, votre science sera bientôt hors d’usage. Avant peu, de nouveaux intérêts donneront naissance à de nouvelles intrigues ; ces modes de langage, ces nuances de mœurs seront devenues surannées. Ainsi des mœurs et des manières que nous présentent les livres de M. Trollope : ce sont des miroirs où se reflètent avec une précision minutieuse des scènes qui appartiennent à l’heure présente, des singularités qui n’auraient pas été possibles il y a dix ans, qui demain n’exciteront peut-être plus aucune surprise. Ces romans portent bien le caractère des mœurs qu’ils veulent dépeindre ; l’auteur leur a imprimé avec beaucoup d’art le cachet de la vie provinciale. Ils en ont la loquacité intempérante, l’ardeur médisante, l’âpreté futile. Il semble qu’on se promène dans les rues d’une petite ville avec un ami bien informé, qui vous raconte l’histoire de chaque famille en vous montrant du doigt chaque maison. — Voici la demeure du ministre de la paroisse ; il est allié à la famille du sguire. Longtemps il a été contraire au mariage des clergymen ; mais miss Béatrice a complètement bouleversé ses opinions. C’est un intime ami du docteur Thorne, le médecin de la famille Gresham. La jolie nièce du docteur ne va plus au château depuis qu’il a été connu que le jeune sguire avait pour elle un tendre sentiment. Pauvre Frank ! les affaires de son père sont en bien mauvais état, et s’il veut soutenir l’éclat de la famille, il faudra qu’il épouse une riche dot. Sa tante, lady de Courcy, avait voulu lui faire épouser une certaine miss Dunstable,… vous savez, la fille de ce Dunstable qui a inventé l’onguent du Levant. Cette lady de Courcy est vraiment cynique : dire qu’elle a pu proposer à son neveu, qui avait vingt et un ans à peine, une femme qui avait dépassé la trentaine ! Mais ces de Courcy sont tous ainsi, les plus orgueilleux, les plus infatués des mortels, les plus humbles et les plus rampans devant l’argent. Leur bassesse cependant ne leur réussit en rien. Vous savez que Moffat, le représentant de Barchester, qu’ils croyaient tenir dans leur nasse, leur a échappé comme un plat drôle qu’il est. Il a préféré les beaux yeux de sa cassette aux beaux yeux de miss Augusta Gresham. L’affaire s’est réglée par une volée de coups de cravache que lui a administrée le jeune Frank. — Et les histoires succèdent aux histoires, si bien qu’avant la fin de la promenade on connaît à fond les annales de tous ceux qui portent un nom dans la ville et les environs.

Faisons plus intime connaissance avec les personnages du Barsetshire, un comté imaginaire où M. Trollope a placé la scène de