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« — Vous m’aimez, miss Dunstable ! Plût à Dieu que vous dissiez vrai !

« — Mais si, je vous assure.

« — Vous comprenez bien peu à quel point je vous aime, moi, miss Dunstable.

« Et il étendit sa main pour s’emparer de la sienne ; mais elle recula en le frappant légèrement sur les doigts.

« — Et qu’avez-vous à dire à miss Dunstable qui rende nécessaire que vous lui pinciez la main ? Je vous le dis sincèrement, monsieur Gresham, si vous consentez à jouer un rôle insensé, j’arriverai à cette conclusion, que tous les hommes sont des fous, et qu’il est inutile de chercher quelqu’un qui mérite qu’on s’intéresse à lui.

« — Fou ! oui ; est-ce donc être fou que d’avoir pour miss Dunstable assez d’attachement pour me rendre pénible la certitude que je ne la verrai plus ? Fou ! oui, certainement, un homme est toujours fou lorsqu’il aime…

« — Arrêtez, s’il vous plaît, monsieur Gresham ; avant que vous alliez plus loin, je désire que vous m’écoutiez. Voulez-vous me promettre de m’écouter un moment sans m’interrompre ?

« Frank fit cette promesse.

« — Vous êtes en train, ou plutôt vous étiez en train, car je vous ai arrêté, de me faire une déclaration.

« — Une déclaration ! dit Frank en faisant un léger effort pour dégager sa main de l’étreinte vigoureuse de miss Dunstable.

« — Oui, une déclaration, une déclaration mensongère, monsieur Gresham, mensongère, mensongère ! Regardez dans votre cœur, car je sais qu’après tout vous en avez un, regardez-y attentivement : monsieur Gresham, vous savez que vous ne m’aimez pas, que vous ne m’aimez pas comme un homme doit aimer la femme qu’il jure d’aimer… Comment est-il possible que vous puissiez m’aimer ? Je suis votre aînée, Dieu sait de combien d’années ! Je ne suis ni jeune ni belle ; je n’ai pas été élevée comme doit l’être celle que vous aimerez un jour, et dont vous ferez votre femme. Je n’ai rien qui puisse me faire aimer de vous ; mais,… mais je suis riche.

« — Ce n’est pas cette raison ! reprit avec force Frank, qui se sentit impérieusement obligé de dire quelque chose pour sa défense.

« — Oh ! monsieur Gresham, je crains que ce ne soit la raison au contraire ! Quelle autre raison aurait pu vous faire concevoir le dessein de parler d’amour à une femme telle que moi ?

« — Je n’ai conçu aucun dessein, dit Frank, qui parvint enfin à dégager sa main. Vous me jugez mal en cela, miss Dunstable !

« — Tenez, vous me plaisez si fort, et même je vous aime tant, — s’il est permis à une femme de donner le nom d’amour à un sentiment d’amitié, — que, si je croyais que l’argent, l’argent seul pût vous rendre heureux, je vous en comblerais volontiers. Si vous le désirez, monsieur Gresham, vous l’aurez.

« — Je n’ai jamais pensé à votre argent, dit Frank avec humeur.

« — Mais cela me navre, continua-t-elle, cela me navre de penser que vous, si jeune, si gai, si brillant, vous ayez essayé de conquérir la fortune de cette manière. De la part des autres, je n’ai pas pris garde à de telles paroles,