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parfois grossier et stupide, mais d’autant plus dangereux qu’il est plus grossier. Il connaît son prix, il sait qu’il est une valeur solide, palpable. En outre, il a certains défauts ou certaines qualités qui le rendent difficile à vaincre, et qui déroutent tous les plans de ses adversaires. En premier lieu, il n’est pas imaginatif et romanesque de sa nature, et quoiqu’il soit accessible à la flatterie, il consent avec peine à se livrer contre des avantages purement immatériels. La naissance est une valeur fondée sur l’opinion ; il repose, lui, sur une base plus solide, il se rit de l’opinion, car il a la conscience de pouvoir acheter ce que l’opinion respecte. Il est donc vain de ses avantages, aussi vain qu’une femme coquette peut être vaine de sa beauté. La nécessité inexorable força la famille Gresham à faire intime connaissance avec les bons et les mauvais côtés de cette puissance redoutable. Cette famille avait éprouvé une défaite honorable dans l’affaire de miss Dunstable ; mais une humiliation plus complète l’attendait. En même temps que lady de Courcy travaillait de son mieux à vendre à la vieille miss Dunstable la jeunesse et la beauté de Frank, elle était parvenue à vendre à un millionnaire de basse extraction la jeunesse et la beauté de l’aînée de ses nièces. Miss Augusta Gresham allait épouser M. Moffat, fils d’un tailleur enrichi, représentant de Barchester par la grâce du parti whig et du duc d’Omnium. Les promesses étaient échangées, les premiers arrangerons avaient été pris. Malheureusement la dot de miss Augusta Gresham était mince : six ou sept mille livres tout au plus ; la richesse véritable qu’elle apportait à son époux était sa noblesse et son nom. Les Gresham et les de Courcy estimaient que cette richesse balançait convenablement les millions de M. Moffat. Miss Augusta, qui faisait un mariage de raison et pour ainsi dire de résignation, estimait que le sacrifice qu’elle s’imposait dépassait tous les millions de la banque d’Angleterre. D’où venait cependant qu’à mesure que le moment solennel approchait, M. Moffat paraissait plus froid, et qu’il inventait chaque jour de nouveaux prétextes pour rester éloigné de la demeure de sa fiancée ? M. Moffat avait calculé la dot de miss Augusta, et ses calculs avaient abouti à ce résultat : que la balance était inégale entre ses millions et la noblesse de sa fiancée. Il s’était demandé quel était celui qui donnait le plus dans cette transaction, et il avait trouvé que c’était lui. Il se repentait donc de s’être engagé si imprudemment, et il cherchait un moyen honorable de se délier de ses promesses. De moyens honorables, il n’y en avait pas, mais il y en avait de malhonnêtes. Il n’hésita pas à les prendre, et quinze jours avant l’époque fixée pour le mariage, il écrivit une lettre éloquente à force de bassesse, pour déclarer qu’il renonçait au bonheur d’être l’époux de miss Augusta. Les de Courcy crièrent