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cieux Auburn de Goldsmith et de ce village de Grünau, où Voss, l’auteur de Louise, a placé son vénérable pasteur. Le poète qui fera la célébrité d’Arzannô y arrive aujourd’hui tout enfant ; il va vivre comme un clerc auprès du curé, il portera l’aube blanche, il chantera la messe dans le chœur, et c’est là, entre le presbytère et les champs de blé noir, entre l’église et le pont Kerlô, que naîtra sa poésie, vraie poésie du sol, naïve, rustique, chrétienne et merveilleusement encadrée dans un paysage d’Armorique.

Les amis de Brizeux l’ont bien souvent interrogé sur ces années de son enfance ; il éludait toujours les questions, laissant aux idylles de Marie le soin de se traduire elles-mêmes. Il parlait quelquefois, les yeux pleins de larmes, des leçons de son vénéré maître, lorsque le curé d’Arzannô leur expliquait la messe, et qu’entonnant le récitatif, il leur détaillait toutes les nuances et toutes les beautés du plain-chant. Le plus souvent il s’en tenait à une réponse générale et qui empêchait d’insister ; il savait bien qu’on en serait vite arrivé aux questions inévitables : « Marie a-t-elle existé ? Vit-elle encore ? L’avez-vous revue ? » Ces secrets de son cœur étaient aussi ses secrets d’artiste ; tant qu’il vivrait, pensait-il, on ne devait pas y toucher. Depuis sa mort, j’ai cherché, j’ai découvert un de ses amis d’enfance, le condisciple


                                       … Du petit Pierre Élô
Qui chante en écorchant son bâton de bouleau.


Le condisciple de Brizeux, de Loïc et de Joseph Daniel m’a introduit au presbytère.

Le curé d’Arzannô, M. Lenir, était un homme rare, un vrai type du vieux clergé breton. Sous des dehors rustiques, on sentait en lui un esprit vif, plein de sève, plein de richesses naturelles, une âme simple et fortement trempée. Après avoir fait ses humanités en Bretagne, M. Lenir était allé étudier la théologie à Saint-Sulpice. Il était libre de tout vœu au moment où la révolution éclata ; ce fut l’heure qu’il choisit pour entrer dans les ordres. Il revint en Bretagne à la veille de la terreur, et l’on devine à quels dangers sans cesse renaissans il fut obligé de disputer sa vie. Traqué de ville en ville, contraint de se cacher dans les bourgs de Cornouaille, il devint paysan avec les paysans, et, ne pouvant sans péril exercer le saint ministère, il se consolait en donnant des leçons aux enfans de ses hôtes. C’est là qu’il prit le goût de ces écoles populaires où il devait plus tard enfermer si humblement l’activité d’un cœur d’apôtre. Quand le premier consul eut rouvert les églises, l’abbé Lenir fut placé à la tête d’un collège que son évêque venait d’établir à Kemperlé. Il ne put y rester longtemps ; la période révolutionnaire avait éclairci les rangs du clergé, et l’on manquait de prêtres dans