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sur son tablier avec un cliquetis argentin, et de longues boucles d’oreilles allongeaient encore l’ovale de sa figure. La mère de Marcel avait dû être jolie : son nez aquilin, la coupe gracieuse de son visage, en étaient un indice certain ; mais ses lèvres s’étaient si complètement amincies et décolorées, il y avait si longtemps que ses joues creuses avaient perdu leur embonpoint, que l’on se demandait si jamais personne vivante avait vu ces traits délicats dans toute leur fraîcheur. Pourtant Madeleine avait mené une vie toujours calme et sereine. Elle avait vécu dans ce pauvre village, se flétrissant sans regret, sans le savoir peut-être. Elle était née, elle s’était mariée, elle mourrait, sans comprendre l’existence au-delà des rochers grisâtres qui semblaient avoir déteint sur elle. Son caractère était si facile et si doux, qu’elle avait toujours plié sous la volonté d’autrui. Enfant, Madeleine avait obéi à son père ; femme, à son mari ; mère, elle eût obéi à son fils, s’il fût resté près d’elle. L’humble mos était le type de ces créatures effacées qui suivent la direction qu’on leur donne avec tant de docilité et d’abnégation, qu’elles sont considérées comme des êtres simplement utiles, dont la mission est de se dévouer à ceux qui les entourent, d’adoucir leur existence, de leur prodiguer des soins et des consolations sans se plaindre jamais. Le côté sublime de ces organisations, c’est qu’elles n’ont pas la conscience de leur rôle et le remplissent par une sorte d’instinct. Madeleine était capable d’éprouver pour ceux qu’elle aimait toutes les joies, toutes les tortures de la vie ; elle les aurait toujours ignorées, s’il eût fallu qu’elle les éprouvât pour elle-même.

Cependant cette âme si docile à toutes les impressions d’autrui était possédée par un sentiment vif et profond, capable d’inspirer à l’humble mos les résolutions les plus fermes, les luttes les plus vigoureuses, les dévouemens les plus énergiques : c’était l’amour maternel. Comme une flamme mystérieuse, ce sentiment brillait au fond du cœur de Madeleine ; le souvenir et l’espérance l’alimentaient de leurs doux rayons. La mos passait de longues journées à se rappeler l’enfance de son fils adoré, jadis bercé par sa tendresse et ses chansons. Deux larmes silencieuses coulaient lentement sur ses joues ridées, lorsqu’elle pensait qu’il devenait homme loin d’elle. Puis un éclair jaillissait de ses yeux et séchait ses pleurs, car l’idée du retour succédait à celle de l’absence. Madeleine se recueillait pendant des heures entières pour songer au jour heureux qui ramènerait Marcel dans ses bras. Il ne la quitterait plus ; elle jouirait jusqu’au moment suprême de sa présence et de son affection ! Elle désirait vivre, longtemps pour suivre la vie de son enfant. Elle ne se sentait jamais seule, car ses journées n’étaient ni assez longues, ni assez silencieuses, ni assez solitaires pour ses tendres rêveries. Souvent,