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prochaine arrivée. Maître Etienne dépliait, lisait, retournait en tous sens le précieux parchemin qui donnait tant de droits à Marcel. La famille Lavène goûtait un de ces instans de complet bonheur, si rare en ce monde, et que fait naître le retour d’un être aimé. Aussi ne fut-ce qu’après quelques minutes d’embrassemens et de questions échangées que Marcel découvrit la présence du notaire et de sa fille, qu’il salua en s’excusant. Maître Lavène prit la main de Nina, et la mettant dans celle du jeune docteur :

— Garçon, dit-il, voilà une bonne et brave demoiselle que nous aimons comme notre fille ; je m’expliquerai plus tard. En attendant, nous allons boire à la santé de deux amoureux, car Rose est promise à Jean Coustou, et je pense bien qu’avant la Saint-Martin nous boirons à deux noces, ajouta-t-il en regardant son fils et Nina.

Comment Rose ne rougit-elle pas cette fois en entendant proclamer son amour, et pourquoi son verre trembla-t-il quand elle le porta à ses lèvres ? C’est que la maligne enfant avait regardé Marcel pour jouir de sa surprise à cette brusque allusion ; son bon et sensible cœur s’était trop vivement alarmé de la pâleur subite de son cousin pour penser à elle et au chaste bonheur qui l’attendait. La perspective de ce mariage terrifia en effet le jeune homme. Il savait que les désirs de maître Lavène se traduisaient en ordres sévères, et sur le visage peu agréable de Nina il crut entrevoir le linceul d’ennui prêt à ensevelir le bonheur et la liberté de sa jeunesse. Rose et Madeleine furent seules à remarquer la prompte tristesse de Marcel, et leurs yeux échangèrent un de ces regards anxieux dont les femmes ont le secret.


II

Le lendemain du retour de Marcel à Fabriac, le village célébrait la fête patronale, qui a lieu tous les premiers dimanches de septembre. On sait quelle joie expansive règne dans ces solennités champêtres… Le vieillard endosse son habit de velours, qui a blanchi avec ses cheveux ; un verre du vin qu’il a récolté pendant sa jeunesse semble lui rendre pour quelques heures le feu du temps passé. Quant aux hommes, ils se partagent entre deux plaisirs : la partie de boules, qu’ils font en devisant sur le prix des vins, et la partie de cartes, pendant laquelle ils traitent les marchés de grains et de bestiaux, le tout arrosé de la liqueur dorée et épicée qui porte dans le pays le nom de carthagène, puis interrompu par des repas dignes de Gargantua. Mais c’est surtout pour les jeunes gens, garçons ou filles, que l’heure qui sonne le premier dimanche de septembre est