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Marcel se trouva justement sous l’immense tissu de paille qui protégeait le front charmant de la mystérieuse inconnue. Celle-ci était debout sur un banc afin de mieux contempler les danseurs ; les grandes ailes de son chapeau rond lui avaient jusque-là caché Marcel. Elle rougit en apercevant le jeune homme, qui, par un geste aussi prompt qu’imprévu, avait en se retournant effleuré son joli visage. Il s’excusa tout tremblant, et balbutia une invitation pour la première contredanse. L’étrangère demanda son consentement à une dame âgée, assise derrière elle, qui l’accorda après un si long préambule sur la chaleur et la fatigue, que les deux jeunes gens arrivèrent trop tard au quadrille. Revenir à leur place était chose impossible, les danseurs formaient une barrière qu’on ne pouvait rompre.

— Eh bien ! causons, dit en riant la gracieuse enfant, et avec la franchise ingénue du jeune âge elle raconta à son compagnon qu’elle s’appelait Noélie de Presle, qu’elle était née à Paris et qu’elle était arrivée depuis quelques jours avec sa mère et son frère au château de Saint-Loup, qu’un vieux parent leur avait légué, et où ils venaient passer l’automne.

— Comment ! s’écria Marcel, vous habitez ce vieux château si délabré, si triste, et qui ressemble à une prison abandonnée !

— J’aime l’air pittoresque de cette habitation, répondit Noélie, et les tapissiers de Montpellier nous y ont arrangé un séjour très comfortable.

Puis la jeune châtelaine voulut connaître à son tour le nom et la position de Marcel.

— Ah ! que ma mère va être satisfaite ! reprit-elle ; elle craignait tant qu’il n’y eût pas de médecin dans le pays !

Lorsque les deux danseurs revinrent à leurs places après une longue valse, Noélie présenta le jeune méridional à sa mère. Mme de Presle savait déjà par son payre[1] que la famille Lavène jouissait de l’estime publique, et lorsqu’elle apprit qu’au lieu d’être un simple officier de santé Marcel était un vrai docteur ayant pris son grade dans une faculté, elle l’engagea avec beaucoup de cordialité à venir la voir souvent à Saint-Loup. La vieille dame mit le comble à son bonheur en le priant de faire danser de nouveau sa fille. Noélie était blonde, petite et frêle. De soyeuses boucles de cheveux entouraient ses traits délicats d’une auréole cendrée. Ses yeux rappelaient le bleu de la pervenche ; ils étaient veloutés et modestes comme la douce étoile des bois, et de même que cette timide

  1. Le payre est une espèce de contre-maître rural qui dirige les travaux des ouvriers et qui les nourrit.