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avait traversé une période toute différente, que le sentiment breton s’était effacé chez lui pour ne reparaître que bien plus tard, au moment où il prit la plume et se mit à chanter ses landes natales. C’est beaucoup trop dire assurément ; surtout cette façon de présenter les choses serait absolument inexacte, si on voulait donner à entendre que son inspiration bretonne n’a été pour lui qu’un thème bien choisi, une ingénieuse combinaison d’artiste. Brizeux lui-même, dans les vers que je viens de citer, indique avec autant de précision que de franchise l’état de son âme pendant cette période. Les événemens de 1815 avaient ouvert l’esprit de l’enfant. Cette France, qui est la patrie des Bretons depuis le mariage de la duchesse Anne avec Louis XII, était exposée à de suprêmes périls. Brizeux n’est pas de ceux à qui la petite patrie fait oublier la grande. Au lieu de se battre dans les champs de Vannes, c’est lui qui nous le déclare, il serait allé à la frontière. Amour de la Bretagne, attachement à la France, ces deux sentimens, bien loin de se contredire, se soutiennent l’un l’autre. Je me défie du patriotisme qui exclurait l’amour du foyer, comme je me défie du sentiment de l’humanité chez ceux qui condamneraient le patriotisme. De même l’homme le plus dévoué à la petite patrie (que ce soit une province entière ou simplement le foyer paternel, peu importe) sera aussi le plus dévoué à la grande. La France avait été cruellement éprouvée à la suite des guerres de l’empire ; comment s’étonner qu’une âme ardente et généreuse ait été entraînée de ce côté ? Il y a en effet toute une période où l’élève du curé d’Arzannô paraît s’occuper beaucoup plus de la France que de la Bretagne. Ajoutez aux motifs que j’ai signalés des voyages hors du pays, un séjour prolongé dans les villes du nord, sans compter l’inquiétude d’un esprit de vingt ans qui cherche encore sa voie, et vous comprendrez que cette espèce d’interruption dans les sentimens bretons de toute sa vie ait été simplement apparente. En 1819, Brizeux, âgé de seize ans, va terminer ses études au collège d’Arras, dirigé alors par un de ses parens, son grand-oncle, M. Sallentin. Trois ans après, il revient à Lorient, entre dans une étude d’avoué, y passe deux années environ, et part ensuite pour Paris, afin d’y faire son droit.

C’était le moment où une littérature nouvelle venait de naître. Que de prestigieux horizons ouverts à l’esprit de la jeunesse dans cette année 1824 ! Déjà les Méditations de Lamartine avaient paru en 1820, Victor Hugo avait donné (juin 1822 et février 1824) les deux premiers volumes de ses Odes et Ballades, et au mois de septembre de cette même année paraissait enfin le journal qui allait prendre la direction du mouvement et fonder une critique intelligente et libre. Les tentatives de la jeune école, les unes vraiment belles, les autres bizarres et puériles, offraient un spectacle incohé-