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professeur dans quelques heures. Dites-moi que vous aimerez Noélie comme votre fille, et je mourrai tranquille.

Maître Lavène bénit son fils et l’embrassa, puis il se pencha sur le lit de Madeleine, et laissant tomber sur elle des pleurs de regret et de douleur, les premières qu’elle lui eût vu verser : — Femme, dit-il, Noélie et Marcel seront mes enfans bien-aimés aussi vrai que tu es là mourante, je te le jure sur ce crucifix. — Et il étendit la main sur une petite croix d’argent que Madeleine pressait dans ses doigts raidis.

Le cœur de maître Lavène était bon, la rude écorce qui l’enveloppait tombait peu à peu. Il était comme ces arbres noueux et robustes, dont les troncs en vieillissant perdent morceau à morceau leur enveloppe rugueuse, laissant à nu un bois frais et sain. Au moment de dire un éternel adieu à sa compagne, il l’aima sans égoïsme, et il fut pénétré de la perte immense qu’il allait faire en elle.

La journée s’écoulait avec une lenteur désespérante ; la malade s’affaiblissait graduellement et sans crise. Lavène, silencieux, recueilli, essuyait à la dérobée une larme qui coulait sur sa barbe grisonnante. La vue de ce chagrin muet et de ces rares pleurs qui sillonnaient son mâle visage était d’une navrante éloquence. La force et l’énergie étaient domptées par la douleur. Jean et Rose sanglotaient dans un coin ; Marcel, immobile et pâle au chevet de Madeleine, attendait le dernier regard de sa mère. La faible voix de la pauvre mos se faisait seule entendre, adressant à ceux qui l’entouraient un adieu paisible et de douces consolations.

Tout à coup le roulement d’une chaise de poste retentit dans la petite Rue-Basse, le postillon faisait claquer joyeusement son fouet pour célébrer une heureuse arrivée, et les grelots des chevaux, bruyamment agités, semblaient le langage insouciant du plaisir. Cette voiture était celle de la famille de Presle, qui revenait, ainsi que Noélie l’avait promis à son fiancé, pour couronner le front du nouveau professeur. À l’instant où l’on proclamait la nomination du jeune homme à l’École de Médecine, la brillante calèche s’arrêtait sous la pauvre chambre où se mourait Madeleine. Noélie, éclatante de beauté, de bonheur et d’amour, s’élança légèrement vers la demeure de Marcel, tandis que sa mère la suivait avec peine en tâchant de s’orienter dans l’escalier obscur où une maigre corde servait de rampe.

Le pâle visage de Madeleine s’illumina d’une expression radieuse à la vue de la jeune fille. — Vous êtes l’ange qui m’ouvrez les portes du paradis. Ah !… Dieu a exaucé tous mes vœux, je vais mourir heureuse !… Je n’ai qu’un fils, l’enfant de ma tendresse, pour