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jour en jour, devient un poème au fond de son cœur. Il fixe tous ses souvenirs dans une langue souple et harmonieuse, et il écrit ce livre, ce recueil d’élégies, d’idylles agrestes, décoré du nom de l’humble paysanne. Rien de plus frais ni de plus original : à la suave douceur des sentimens s’unit la franchise des peintures ; des scènes pleines de réalité et de vie servent de cadre à ce qu’il y a de plus pur, le poème de l’enfance et de la première jeunesse. Tantôt le poète est enfantin, mais avec une grâce supérieure, comme dans l’idylle du pont Kerlô ; tantôt il jette un cri de douleur qui retentit dans notre âme :


Oh ! ne quittez jamais le seuil de votre porte !
Mourez dans la maison où votre mère est morte !


tantôt enfin, ce passé qu’il chante en détail et dont chaque incident lui fournit un tableau, il le recompose tout entier, il en concentre, pour ainsi dire, tous les rayons. La religion, quand il portait l’aube blanche et balançait l’encensoir dans le chœur ; la nature, quand il courait par les prés et les bois ; l’amour, quand il voyait passer Marie et qu’il causait avec elle au pont Kerlo : religion, nature, amour, voilà ce qui remplissait son cœur dans sa chère Bretagne ; puis, réunissant tous ses souvenirs dans un même chant, il en fait une symphonie où tous les accords viennent se fondre.

Quelquefois, au milieu de ses idylles bretonnes, le poète abandonne son sujet ; aux fleurs de son pays s’entremêlent des fleurs d’une autre zone. Ce sont, par exemple, des pensées philosophiques qu’on dirait détachées et traduites de Platon, des maximes graves, spiritualistes, des hymnes à la liberté, à la beauté idéale que l’artiste doit réaliser dans ses œuvres. Ces nobles pièces donnent un ton plus élevé à la peinture des gracieux souvenirs. Il ne convient pas en effet que le regret des joies de l’enfance envahisse l’âme entière et paraisse l’efféminer. En même temps qu’il trace le tableau des jeunes années, il nous fait entrevoir le monde nouveau qui s’ouvre à l’intelligence virile. D’un côté ce sont des sentimens, de l’autre des pensées. Ici, c’est l’enfance avec ses émotions charmantes, fugitives ; là, c’est la jeunesse, bientôt la virilité, avec les mâles voluptés de l’esprit. Tel est le sens de ces belles poésies platoniciennes. Remarquez bien que les études de l’artiste marchent de front dans ce livre avec les souvenirs de l’homme. Il aime Marie comme une image pure qui a enchanté son enfance, il l’aime aussi comme un type de grâce naturelle et rustique, à l’aide duquel il espère introduire dans la poésie française une fraîcheur inconnue. L’art, il l’a dit en poète, est trop orgueilleux de sa beauté artificielle et savante ; Marie, ô brune enfant, qui m’as appris la simpli-