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inscrits au tarif général, avait rencontré de graves objections, et l’agriculture française avait manifesté de vives craintes devant la concurrence des produits algériens ; les industriels ne s’étaient résignés qu’en obtenant pour leurs tissus importés dans la colonie une protection de 30 pour 100 contre les tissus étrangers. Mais cette fois, que devaient penser les agriculteurs et les manufacturiers d’une mesure qui, consacrant la franchise complète, avait le double tort, à leurs yeux, de présenter quelque affinité avec la doctrine du libre échange et de compromettre davantage, par une concurrence au moins probable, et dans tous les cas provoquée et encouragée, le travail national métropolitain ! Tant qu’on ne leur demandait que de proclamer l’Algérie une terre à jamais française, ils étaient tout prêts à faire chorus avec les discours officiels prononcés depuis 1830. Oui, l’Algérie était bien une terre française, glorieusement française ; l’armée qui l’avait conquise, les colons qui essayaient de la mettre en valeur, méritaient au plus haut degré l’admiration et la protection de la mère-patrie. Il fallait diriger vers cette nouvelle France l’esprit d’entreprise, les capitaux, les bras. Aucun sacrifice ne devait coûter pour développer les élémens de richesse que recelait notre possession africaine. Puis, avec cette logique qui n’appartient qu’aux intérêts, les mêmes hommes entendaient taxer les céréales, les laines, les bestiaux, les huiles, etc., de l’Algérie, et ils considéraient qu’en ne les taxant qu’au demi-droit, ils s’étaient montrés fort généreux. Voilà quel était l’état des esprits. Pour calmer ces appréhensions, pour dissiper ces préjugés, pour faire en un mot que l’adoption, jusqu’alors assez stérile, de l’Algérie comme terre française devînt une vérité, ce n’était pas trop des longues discussions, des éclaircissemens multipliés, des argumens répétés jusqu’à satiété que j’ai rappelés tout à l’heure. La lutte a été complète et la victoire décisive, circonstance fort heureuse pour la campagne qui s’engage de nouveau, car le terrain est bien déblayé, et les défenseurs de l’Algérie n’auront qu’à se replacer dans les positions conquises de 1848 à 1851 pour réclamer des concessions plus étendues.

Ce fut en vérité une belle discussion que celle de la loi douanière de l’Algérie. On ne regrettera point de s’y reporter. Bien que l’assemblée fût déjà bien divisée et grosse d’orages, elle se possédait à ce moment ; elle demeurait calme, et prêtait une attention bienveillante et réfléchie à ce débat, qui la reposait de ses luttes politiques. Les partis semblaient avoir conclu une courte trêve sur le berceau de l’Algérie. A l’exception de l’honorable M. Desjobert, qui ne pouvait souffrir l’Afrique, et chez lequel il fallait respecter une vieille habitude, les représentans, très nombreux à leurs bancs, écoutaient avec intérêt les orateurs qui se succédaient à la tribune. Les marques d’adhésion partaient fréquemment de toutes les régions de l’enceinte. L’extrême gauche et l’extrême droite applaudissaient avec un égal empressement aux paroles de M. Dufaure, de M. Passy, de M. le général Daumas, commissaire du gouvernement. M. Charles Dupin, président et rapporteur