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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/90

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l’art vous conduit. Les jugemens tout faits lui conviennent ; à chaque ouvrage qui paraît, il faut qu’elle puisse appliquer de vieilles formules. Le livre des Ternaires dépaysait un grand nombre des lecteurs de Marie. Ce qui avait charmé dans Marie, c’étaient la simplicité et la fraîcheur ; les Ternaires nous montraient l’élève d’Arzannô initié à toutes les finesses de l’art italien. De même qu’après 1830 il avait opposé au tumulte des esprits et des lettres ces doux paysages du Léta, dont rien ne troublait l’harmonie, il opposait dix ans plus tard au matérialisme littéraire, très visible déjà, les délicatesses les plus fines du style et de la pensée. On déclamait en vers ; il fut sobre et poétiquement contenu. On faisait de grosses peintures à la brosse ; il rechercha les symboles, et prit plaisir à cacher maints trésors sous le voile léger de la Muse. Cette inspiration inattendue, avouons-le, déconcerta plus d’un lecteur. Tandis que les esprits fins savouraient ces élégances, subtiles parfois, et dont la subtilité même est un charme, bien des admirateurs de Marie redemandaient leur poète d’autrefois. La transition était décidément trop brusque entre l’élève du curé d’Arzannô et l’artiste qui buvait la liqueur toscane dans son beau vase étrusque. Brizeux lui-même le comprit ; le recueil des Ternaires reparut sous le titre de la Fleur d’or, habilement renouvelé par diverses additions, par maints arrangemens de détail, surtout par une distribution aussi claire qu’ingénieuse. La fleur d’or, c’est la fleur de l’esprit et de l’art que le barde breton va cueillir aux pays du soleil. Toutes les périodes du voyage se déroulent dans un ordre harmonieux, et la pensée du lecteur, conduite par un rayon de lumière, est initiée à la charmante éducation du poète. Lisez ce livre, vous qui ne l’avez pas lu ; lisez-le surtout, si vous ne connaissez que les Ternaires. Ces pièces si originales et si vives, l’Aleatico, les Cornemuses, en revenant du Lido, Lettre à Loïc, Lettre à un chanteur de Tréguier, les Chants alternés, vous souriront mieux dans ce brillant cadre. Quelle heureuse alliance de la Bretagne et de l’Italie ! Comme le son de la piva fait éclater là-bas les échos du corn-boud armoricain ! Sonne encore, ô piva !… Et à côté de ces poèmes où les fleurs des landes natales sont si bien entremêlées aux fleurs des sillons de Mantoue, quelle science de la vie dans le Livre des Conseils ! Ce recueil de la Fleur d’or était une des œuvres chéries de Brizeux ; bien des secrets de son esprit sont là, et ceux qui n’ont pas médité ces fines pages ne connaissent qu’une partie du poète. Philosophe, chrétien, artiste, il a semé ses meilleurs trésors sur la route qui mène des bourgs de Bretagne aux villes d’Italie.


Des villes d’Italie où j’osai, jeune et svelte,
Parmi ces hommes bruns montrer l’œil bleu d’un Celte,
J’arrivais, plein des feux de leur volcan sacré,