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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/901

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situation spéciale qui simplifie beaucoup les combinaisons. Elle n’est pas seulement devenue la première puissance manufacturière du monde, ce qui lui permet de n’avoir plus besoin, comme autrefois, de marchés réservés, et de ne plus imposer à ses colonies les rigueurs du vieux système qu’elle a poussées en d’autres temps aux dernières limites de la tyrannie ; elle est aussi la première nation maritime, et cette supériorité, qui est l’essence même de sa grandeur, de sa vie politique, assure à son pavillon la majeure partie des transports. La concurrence illimitée est donc tout à fait inoffensive pour ses manufactures comme pour sa marine. Est-il nécessaire de démontrer que malheureusement ces conditions ne se rencontrent en France à aucun degré ? Quant à la prospérité des possessions australiennes, que l’on compare trop souvent avec l’Algérie, on ne saurait l’attribuer exclusivement à la loi commerciale ; elle provient d’autres causes. En premier lieu, l’Angleterre n’a pas eu à lutter contre les difficultés de la conquête ; pas d’ennemis, pas de régime militaire : une sécurité absolue. En second lieu, le sol australien possédait, dès le début de la colonisation, une grande industrie naturelle, l’industrie pastorale, exploitation aisée et féconde qui pouvait rémunérer tous les capitaux, employer tous les bras venant d’Europe. En dépit de ces avantages, l’entreprise coloniale, viciée dans son principe par l’élément des convicts, marchait lentement, lorsque se sont produits deux faits d’un caractère tout à fait spécial, à savoir la découverte des mines d’or et l’immigration subventionnée. A la première nouvelle de la découverte des mines d’or, le peuplement de la colonie était assuré ; la Fortune battait le rappel, et tous les aventuriers de l’Europe, de l’Amérique, de l’Asie, accoururent tumultueusement sous son drapeau. C’était la répétition du spectacle qu’avait présenté, peu d’années auparavant, la Californie, peuplée comme par enchantement. Vainement dira-t-on que ces agglomérations fébriles de mineurs acharnés à la recherche du métal ne valent pas quelques familles d’honnêtes colons, et qu’on ne bâtit pas solidement sur les sables aurifères. Les mineurs, qui consomment, attirent les agriculteurs et les négocians ; l’ordre se fait bientôt dans cette mêlée confuse, et la société coloniale se constitue. Que sera-ce si, à ce flot d’immigration volontaire, vient s’ajouter le courant de l’immigration subventionnée, telle que l’Angleterre seule, avec les mœurs et les besoins de sa population exubérante, avec le produit des mines d’or, peut l’exécuter sur une grande échelle ! Voilà le secret de la prospérité australienne. La loi douanière n’y joue qu’un rôle secondaire.

Je me suis appliqué à laisser de côté dans cet exposé l’intérêt métropolitain. Sans retomber dans les excès du régime colonial, sans sacrifier la colonie à la métropole, on pourrait dire que la France, après tant de dépenses qu’elle est loin de regretter, a bien quelque droit à voir ses produits mieux traités que les produits anglais ; on ajouterait que sa marine marchande, pépinière de la marine militaire, mérite aussi certaines faveurs, que sous