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chaque brin de mousse ; il écoute le moindre bruit, cherche partout sa proie, sans pitié pour ce beau cerf qui, poussé par la crainte, sort du fourré, s’arrête un instant, aspire l’air, sonde les profondeurs de l’espace. Le pauvre animal a compris le péril, il hésite un moment, mais bientôt la terreur l’emporte ; il s’élance, le vent de sa course rapide couche la bruyère, et il bondit avec tant de grâce, que saint Hubert lui-même, le prenant parfois en pitié, le dérobe à la mort, et dirige sa fuite du côté d’un chasseur maladroit.

Les hommes qui prennent part à ces chasses méritent aussi toute l’attention du voyageur, car la nature s’est plu, comme toujours, à les marquer du cachet particulier qu’elle donne à ceux qui vivent en communication constante avec elle. Les bergers, les braconniers, les gardes-chasses et leurs chiens ont des physionomies qui se reconnaissent entre toutes, et ceux de Glenquoich ne dérogeaient point à cette vieille coutume. Parmi ces forestiers[1] blanchis sous le harnais, la mine éveillée, prudente et rusée tout à la fois d’un jeune gars de seize ans nous frappa. Donald le Roux avait une figure carrée, les sourcils droits, les pommettes osseuses, des yeux bleus, limpides, le teint frais et rosé. Ses épaules étaient larges, sa taille bien prise, et le kilt (petit jupon) montrait ses jambes nerveuses, garanties jusqu’aux genoux par de grands bas de laine grise d’un doigt d’épaisseur. Le corps ployé derrière une touffe de bruyères, le bras droit passé autour du cou d’un grand lévrier confié à sa garde, qu’il caressait de temps à autre de la main afin de lui imposer silence, Donald suivait avec anxiété toutes les phases de la battue, et le léger tremblement qui agitait ses membres trahissait les ardeurs de son sang, ardeurs partagées par le beau lévrier dont les flancs étaient haletans, comme s’il eût fait une longue course. Sa langue rouge, baignée de sueur, sortait de sa gueule, qui laissait voir une formidable rangée de dents blanches et aiguës ; ses yeux brillans se tournaient vers Donald pour se reporter aussitôt vers le bois ; on eût dit que ses impatiences contenues hérissaient ses longs poils gris, et il fallut toute l’autorité amicale du jeune garde pour maintenir immobile son compagnon, quand des chevreuils, chassés à leur tour des hautes fougères où ils se croyaient à l’abri, passèrent en bondissant à cent pas de l’embuscade. Leur jolie tête, leur bel œil effaré apparaissaient comme un point lumineux, lorsqu’ils s’élevaient avec une légèreté aérienne, touchaient terre une seconde pour s’élancer de nouveau et se perdre enfin au milieu des bruyères.

Quatre heures plus tard, une nouvelle battue nous avait amenés à

  1. Forestier, garde-chasse. — L’usage est d’appeler deer forest, forêt de cerf, les espaces qu’ils parcourent d’ordinaire, bien que le plus souvent il n’y ait aucun arbre.