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un des meilleurs souvenirs de ma carrière ; elle me procura dans le général Boudet, pour lequel je professais déjà la plus profonde estime, un ami sincère et dévoué.

Les renforts que la France envoyait au secours de Saint-Domingue n’arrivaient jamais que par détachemens trop faibles pour combler les vides de notre armée. Dès leur débarquement, il fallait les mettre en campagne. L’ennemi n’ignorait pas que le climat combattait en sa faveur, que, pour vaincre ces vaillans soldats qui lui inspiraient tant de crainte, il suffisait de les obliger à s’exposer aux ardeurs du soleil ou à subir quelques heures de pluie. Quinze ou vingt jours suffisaient pour anéantir ces héroïques régimens, composés de jeunes gens sains, robustes, dont le courage éprouvé venait de porter la France au plus haut degré de gloire que nation militaire eût jamais connu. Quel était donc le mauvais génie qui présidait à ces envois : de troupes arrivant constamment à Saint-Domingue dans la saison la plus insalubre ? Pourquoi fractionner ces renforts au lieu de les expédier en masses imposantes ? L’armée du général Leclerc n’était que de vingt-trois mille hommes ; elle avait fait la conquête de la colonie dans l’espace de quelques mois, alors que Toussaint Louverture était entouré des régimens qu’il avait organisés et disciplinés. Ces corps réguliers n’existaient plus, on les avait désarmés et en partie détruits. Ainsi moins de difficultés à surmonter. Les déplorables combinaisons auxquelles on s’arrêta ont coûté à la France soixante-six mille soldats ou marins, l’élite de notre armée et de notre flotte ! Une telle succession de fautes devait fatalement entraîner la perte de la colonie.

La ville de Saint-Marc était à peine délivrée que les insurgés investissaient la ville du Petit-Goave. Cette ville, ainsi que celle du Grand-Goave, qui en est voisine, est située dans le canal de la Goave, et distante d’une vingtaine de milles de Léogane. Dans les premiers temps de la colonisation, c’était là que résidait le gouvernement. Cette préférence était fondée sur la beauté et la sûreté du port, qui offre un bassin vaste, abrité de tous les vents, où la mer est toujours calme, le fond d’une qualité parfaite et assez considérable pour les plus grands vaisseaux. Des escadres pourraient sans inconvénient entreprendre dans ce port les plus sérieuses réparations. Les montagnes élevées qui s’avancent presque jusqu’au rivage étaient alors couvertes d’habitations d’un immense produit. La végétation, magnifique partout dans l’île Me Saint-Domingue, étalait sur ce point une pompe inusitée et couvrait les sommets des mornes d’une verdure éternelle. La ville, bâtie sur un plateau, renfermée entre la montagne qui la serrait de près et le bord de la mer, n’avait pour toute défense qu’une citadelle dominée par les hauteurs voisines. Un de ces pitons, véritable pain de sucre, n’était