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aux yeux. En Bretagne, à Paris, partout, il avait recueilli de ces fleurs du bien, car c’était là un de ses principes :


La fleur de poésie éclôt sous tous nos pas,
Mais la divine fleur, plus d’un ne la voit pas.


Lui, il la voyait toujours. Il avait donc toute une collection d’histoires de ce genre. Quelques-unes d’entre elles étaient comme les notes des Bretons ; il s’en était servi pour son poème, et ne comptait pas en faire un autre usage. Il y eut même un instant dans sa vie où il crut avoir accompli son œuvre ; Marie, la Fleur d’or et les Bretons composaient tout un cycle parfaitement clos, et désormais, disait-il, il ne pouvait plus que se répéter. Un peu découragé peut-être, ou plutôt trop résigné à des pensées modestes, il eût sans doute prolongé son silence, si ses amis ne lui eussent révélé à lui-même quelle veine de poésie circulait dans sa conversation enthousiaste, abondante, toute pleine de sentimens et d’idées. Brizeux reprit donc sa plume pour célébrer l’héroïsme des cœurs simples, les dévouemens inconnus, la secrète noblesse de cette humanité trop portée à se calomnier elle-même. Tel est le sujet des Histoires poétiques, et on peut se demander si l’inspiration que traduit ce nouveau recueil, déjà ancienne chez Brizeux, ne fut pas ranimée par la situation des choses publiques. Au milieu des agitations de la France, en face des passions et des intrigues, des convoitises et des trahisons de toute espèce, il était heureux de chanter les sentimens naturels de l’âme, la simplicité, la bonté du cœur, la dignité qui se respecte, surtout le dévouement sous toutes ses formes. Ici c’est un jeune homme, le journalier Primel, aimé d’une jeune veuve belle et riche, et qui, par fierté, n’osant devenir son époux, veut du moins travailler encore pour gagner ses habits de noces. Là c’est la vieille Mona, dont le rebouteux du canton, le bonhomme Robin, a guéri la vache à demi morte ; aussi, quand Robin tombe malade, voyez comme la pauvre vieille associe l’animal à sa reconnaissance ! La paysanne et la vache s’en vont trouver le bon rebouteux, la vache avec son lait, qui le réconfortera peut-être, la paysanne avec maintes paroles d’affection, avec maints propos joyeux qui charmeront du moins sa dernière heure. Plus loin, nous sommes à Paris ; Lamennais est en prison au milieu de l’hiver, il allume le feu de la cheminée quand un cri de désespoir retentit dans le tuyau ; une hirondelle s’était blottie là pour y passer la dure saison. Le vieillard, ce Celte à l’esprit superbe et au cœur plein de tendresse, le vieillard est ému, et vite il jette de l’eau sur le bois qui flambe :


En vain gronda la bise, en vain depuis novembre
Jusqu’en mars pluie et vent assiégèrent la chambre,
Le tison resta mort : blotti sous son manteau.