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— Il le lui a promis, aussi vrai que je vous parle, reprit Piérin ; il y a des mois et des années qu’il lui fait la cour.

— D’où est-elle ? Son nom ? Qui vous a dit cela ? demanda Rosalie, promptement revenue à elle-même. Me répondrez-vous ? Parlez, parlez donc.

— Encore patience, répondit Piérin toujours avec le même flegme ; vous voulez que le curé chante vêpres avant que le premier coup soit sonné. Vous me demandez d’où elle est ? De Gilois. Son nom ? Thérèse Lamy. Elle a de dix-huit à vingt ans. Je me la suis fait montrer à la dernière foire de Nozeroy : elle n’est peut-être pas aussi belle que vous ; mais je ne sais pourquoi on ne peut pas s’empêcher de l’aimer rien qu’à la voir, sans compter que les gens du pays en disent tout le bien possible. Intelligente, douce, sage surtout…

— Assez, assez, j’ai compris. Me disiez-vous pas, il n’y a qu’un instant, que vous aviez l’intention de rentrer de bonne heure à Fraroz ? La nuit est bientôt venue dans cette saison-ci, et les chemins ne sont pas bons. Adieu, adieu ; si jamais vous passez par Mouthe, ne vous dérangez pas pour venir ici.

Rosalie avait pris le pauvre campagnard par le bras ; elle le poussa vivement vers la porte. Piérin, décontenancé et tout confus, se laissa congédier sans mot dire. Rosalie tourna alors la clé dans la serrure, et, restée seule, elle se livra à toute la violence de sa jalousie. D’abord elle ne fit que marcher à grands pas d’un bout de la chambre à l’autre, en maudissant cent fois et Thérèse et Ferréol ; puis la pensée lui vint de détruire tout ce qu’elle avait reçu du jeune homme. Un bonnet orné de flots de rubans de toutes couleurs fut le premier objet qui tomba sous sa main ; elle le jeta au feu sans hésitation. Il est vrai qu’il commençait à passer de mode, et que les rubans en étaient assez fanés. Un tour de cou et cinq ou six autres colifichets de peu de valeur eurent le même sort ; mais quand elle en vint au châle, qui avait fait l’admiration de tout le village le dimanche précédent à la sortie de la messe, elle voulut du moins, avant de le détruire, le jeter encore une fois sur ses épaules. Ainsi parée, elle s’approcha du miroir, et trouva le châle si beau, elle-même si belle, qu’elle ne put s’empêcher de se sourire à elle-même et de faire grâce au châle, qu’elle replaça dans l’armoire après l’avoir enveloppé soigneusement dans un linge fermé à trois ou quatre épingles. — Après tout, se dit-elle, Piérin est jaloux de Ferréol ; peut-être n’y a-t-il pas un mot de vrai dans tout ce qu’il m’a raconté. Il est tard, essayons de dormir : il sera demain assez tôt pour éclaircir la chose ; malheur à Ferréol, s’il m’a trompée !