Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accompagnait les nouveaux amoureux, les quitta en ce moment, et demanda aux douaniers la permission de visiter Joachim. Le braconnier n’était pour elle qu’un prétexte; c’était Ferréol qu’elle cherchait, Ferréol qui l’avait jouée dans la grotte du Noirmont, et à qui elle gardait, depuis qu’elle avait été plaisantée à ce sujet par les douaniers, une vive et profonde rancune.

— Jésus Maria ! dit-elle de son ton le plus hypocrite en entrant dans la prison, je croyais ne trouver ici que ce vieux loup, et voilà aussi ce beau jeune homme avec le petit saute-buisson! Comment ces pauvres cabris ont-ils fait pour se laisser prendre? Mais il n’y a pas de déshonneur. Quelques mois de prison sont bientôt passés, et on n’use pas pendant tout ce temps-là la plante de ses pieds. Ah! ça, compère, qui visitera vos lacets pendant que vous serez à l’abri des coups de soleil? Enfin, n’en parlons plus, je vois que ça vous fait de la peine. Savez-vous ce que je viens faire ici? Vous ne devineriez jamais. Je viens de la part de Rosalie demander votre consentement à son mariage.

— Et avec qui donc? fit Joachim, tremblant que le choix de sa fille ne fût tombé sur Ferréol, qu’il voyait en prison pour longtemps et ruiné à jamais.

— Avec des champs, des chenevières, des prés, des bois, des jardins, deux belles et grosses fermes, sans compter ce qui sonne en sortant du sac.

— Sainte vierge Marie! s’écria le vieillard, dont les yeux étincelèrent de joie, est-ce bien possible? Elle se décide donc à épouser Piérin! Mais dis-tu vrai, dis-tu au moins vrai?

— Si je dis vrai, Jésus Maria ! J’ai souhaité bien des fois de savoir mentir; je ne serais pas réduite à mon âge à peiner toute la journée pour gagner ma pauvre vie, mais j’ai toujours été trop brave femme; c’est ce qui a fait mon malheur. Oui, père Joachim, cette pauvre poulette s’est décidée, elle prend Piérin; il ne manque plus que votre consentement.

Ferréol n’était que faiblement épris de Rosalie. Il l’eût quittée sans beaucoup de peine, il trouva très mauvais qu’elle prît les devans. Son dépit n’échappa point à l’œil exercé de l’espionne, qui, voyant le fer déjà dans la plaie, ne se refusa pas le plaisir de l’y tourner en l’enfonçant encore un peu plus.

— Quel dommage que ce jeune homme se soit laissé prendre ! continua-t-elle en s’adressant au contrebandier. Bien sûr, il aurait été de la noce; un ami de la maison! Savez-vous ce que je ferais à votre place? Je demanderais la permission aux gabelous pour ce jour-là. Piérin a dit qu’il voulait faire les choses grandement; tout le village sera invité; on dansera toute la nuit...