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À quelles conditions une société est-elle civilisée ? L’est-elle déjà à un certain degré par cela seul qu’elle est société ? Quels sont les caractères, quelles sont les origines de ce mouvement social qu’on appelle civilisation ? La marche en est-elle nécessaire ? les phases en sont-elles identiques dans tous les lieux et dans tous les temps ? Le progrès des âges est-il nécessairement un perfectionnement ? Par des causes primordiales ou accidentelles, les choses humaines sont-elles assujetties, comme les hommes, à une succession telle que celle de l’enfance, de la maturité, du déclin ? L’humanité elle-même est-elle réservée à un développement indéfini ou même à des transformations essentielles, dont l’histoire ne donne aucune idée ? Ces questions et bien d’autres pouvaient trouver leur place dans une introduction aussi étendue. M. Buckle les a presque entièrement écartées, et il s’est borné, en exposant avec une parfaite lucidité ses principes et sa méthode, à établir son idée générale de l’histoire et de la civilisation, idée qu’on peut définir en l’assimilant à celle qui fait le sujet du célèbre ouvrage de Condorcet, le Tableau historique des Progrès de l’Esprit humain. Seulement, dans la manière de concevoir et de justifier cette idée, M. Buckle se distingue de Condorcet, et se rattache, sans s’y confondre, aux écoles modernes et anglaises de science observatrice et inductive appliquée aux phénomènes sociaux. Nous essaierons, par une analyse assez étendue, de faire connaître au moins la théorie de son ouvrage.


II.

Les matériaux de l’histoire sont innombrables. Ils sont sous nos yeux et dans nos mains. Cependant, et quoiqu’on les ait partiellement employés pour composer des ouvrages historiques, on peut dire que l’histoire n’existe pas encore, si l’histoire est une science et un art : la science, le système des généralisations qui résultent de l’étude des matériaux, et qui, après avoir fait comprendre les faits dans le passé, servent à les prévoir dans l’avenir ; l’art, le secret de mettre en œuvre ces matériaux pour en tirer ces lois générales, et d’établir celles-ci sur des preuves bien observées et sous une expression claire et méthodique. Il est évident que l’histoire ainsi comprise doit être universelle, c’est-à-dire embrasser tout ce qu’on peut savoir des sociétés humaines. Alors seulement elle sera l’histoire de leur civilisation.

Mais cette idée de l’histoire suppose que les faits dont elle se compose peuvent, comme ceux de toute autre science, être ramenés à des lois générales. Or c’est ce dont tout le monde ne paraît pas