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rebutante! On se contenta de les détester en s’en servant; la colonie chinoise put vivre et se développer dans la Californie selon ses goûts et ses habitudes; elle est aujourd’hui de cinquante à soixante mille âmes, et elle serait à coup sûr bien plus considérable sans le dérivatif de l’Australie.

San-Francisco pour sa part compte quelques milliers de Chinois, un peu répandus partout, pour les nécessités de leurs industries, mais plus particulièrement confinés dans un quartier que l’on appelle la Petite-Chine et qui comprend le haut de la rue Sacramento, la rue Dupont et celles qui y aboutissent. Un nombre assez grand de riches marchands chinois y ont leurs boutiques, où ils exposent les différentes productions de leur pays. Ce sont en général des hommes polis, fins, assez instruits et parfois généreux. Beaucoup parlent l’anglais avec facilité, les autres ont des interprètes attachés à leurs maisons. En 1854, ils ont bâti une espèce de bourse, spécialement à l’usage de leurs compatriotes, et le 29 avril de la même année a paru, par leurs soins, le premier numéro d’un journal chinois the Gold hills News, petite feuille de quatre pages. Gold Hills, la Montagne-d’Or, c’est le nom que les Chinois donnent à San-Francisco. Les riches marchands de la Petite-Chine s’habillent d’une façon somptueuse; ils ont des maîtresses qu’ils entretiennent, forment des cercles où ne sont pas introduits leurs compatriotes de condition inférieure, et s’adonnent à des plaisirs plus raffinés et plus intellectuels que la masse.

Dans la ville, les Chinois pauvres, et c’est l’immense majorité, sont portefaix, blanchisseurs, tailleurs; on les voit en foule laver le linge aux puits et sur les bords des lagunes, ou le repasser avec leurs petits réchauds de charbons ardens. Pour la récréation de ce public, sont ouvertes, dans les rues Dupont et Sacramento, nombre de maisons de jeu, pleines nuit et jour. Les pièces contiennent trois ou quatre tables avec des bancs; à la partie la plus reculée de chacun des salons principaux se trouve un orchestre de cinq ou six musiciens qui produisent avec leurs bizarres instrumens les sons les plus discordans pour des oreilles non chinoises. Quelquefois un chanteur accompagne de notes rauques et aiguës cette étrange musique. On admire, en pénétrant dans ces lieux de plaisir, l’air grave et mélancolique de tous ces consommateurs chinois et leur singulière façon de s’amuser. Une masse de jetons en cuivre est éparpillée sur une table au-dessus de laquelle se balancent des lanternes en papier de couleur; le banquier, avec une mince et longue baguette, agite et compte les jetons un à un, tandis que les joueurs suivent avec une attention avide tous les mouvemens en échangeant de loin en loin des sons rauques et gutturaux.