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la manœuvre du Defiance. Il se souvenait de la leçon que l’amiral Saumarez avait reçue à Algésiras, et trouvait que la prise ou la destruction de trois frégates ne valait pas la peina de compromettre un vaisseau. Le Cæsar et le Donegal restèrent donc sous voiles. La brise souillait de terre, et il était presque aussi facile de combattre en panne qu’au mouillage. Le Donegal s’arrêta par le travers de la Concorde, le Cæsar en face de la Revanche.

Le Defiance avait pris un parti vigoureux. Son feu, bien dirigé, devait à lui seul réduire ou couler bas nos trois frégates, mais la plupart de ses coups portèrent trop haut : ils ne firent pendant longtemps que hacher nos manœuvres et cribler notre mâture. Les canonniers du Defiance n’avaient probablement pas l’habitude de diriger leurs pièces sur un but aussi peu élevé au-dessus de l’eau que la coque d’une frégate. Chaque fois qu’une bouffée de brise venait faire une trouée dans le nuage épais qui nous enveloppait, ces canonniers devaient bien s’étonner, j’imagine, de nous retrouver encore à la surface. Un charme semblait nous protéger. Quelques projectiles cependant arrivaient bien de temps à autre à leur destination. De l’avant des porte-haubans de misaine au bossoir, dans un espace de quelques mètres carrés, on comptait dix-neuf boulets de 32 qui avaient traversé la frégate des deux bords. Les soldats de marine anglais, rangés sur la dunette du Defiance, occupaient une position dominante, d’où ils faisaient pleuvoir sur notre pont une grêle de balles. Les valets même, ces tampons de corde qu’on place dans le canon pour maintenir la charge, devenaient, dans un combat aussi rapproché, des projectiles presque aussi dangereux que les boulets ou la mitraille. Quelques-uns de ces valets, en tombant sur le pont, mirent le feu à bord de la Créole. Tout commencement d’incendie est chose grave dans un combat naval. J’animais les hommes occupés à puiser de l’eau le long du bord, lorsque je me sentis frappé d’un coup violent à la nuque. Je chancelai, et me serais affaissé sur moi-même, si je n’avais trouvé l’appui du bastingage. A la pâleur de mon visage, l’officier de manœuvre me crut mortellement atteint. Ce n’était qu’un des valets du Defiance qui m’avait étourdi. Je souffrais beaucoup, mais l’animation du combat me fit bientôt oublier la douleur.

Nous ripostions de notre mieux au feu du Defiance. Notre but à nous n’était pas de ceux qu’on peut manquer. Malheureusement un vaisseau de ligne a les côtes plus dures qu’une frégate. Après une heure et demie de combat, le Defiance ne comptait encore qu’une trentaine d’hommes tués ou blessés ; mais la mer commençait à baisser : l’amiral Stopford fit signal à son escadre de prendre le large, et en donna lui-même l’exemple en mettant le cap au sud--