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Il ne faut pas chercher grand intérêt dans des caractères où le sens moral est à ce point oblitéré. Et en effet les personnages de ce roman sont l’insignifiance elle-même. Chez Roger, la passion s’unit agréablement à la sottise, et même il ne serait pas difficile de prouver que la cause de cette immense jalousie qui le ronge est un fonds de sottise peu commune. Plus insignifiante encore est Fanny, personnage à demi muet, qui pose devant nous comme un portrait, ou, pour être plus exact, comme un tableau vivant, dans toute sorte d’attitudes attrayantes et de postures pittoresques, mais dont le caractère par trop discret refuse de s’expliquer au lecteur. Un seul détail, assez caractéristique il est vrai, est bien accusé dans ce personnage : c’est son irritante placidité et son étonnante égalité de physionomie devant toutes les émotions. Qu’il s’agisse de tromper son mari, de mentir à son amant, de trembler pour ses enfans malades : Fanny est toujours la même, froide, fausse, impénétrable. On se demande quelle est son excuse, et on ne la trouve pas. Elle ne peut alléguer les mouvemens d’une âme violente, son âme est immobile; elle ne peut accuser les entraînemens de l’imagination, elle en est entièrement dépourvue; elle ne peut même pas accuser un penchant irrésistible du cœur, car le sentiment qu’elle éprouve pour Roger est une sorte de compassion sensuelle, et il n’est pas bien certain qu’elle n’aime pas son mari plus que son amant. Dans de telles conditions, il est vrai, elle est fort excusable de ne pas se montrer très passionnée; cependant elle abuse de la permission. Voilà une femme qui ne fait pas un usage exagéré de l’éloquence et de l’esprit. Il est fâcheux pour Roger que la jalousie soit entrée en lui comme une idée fixe, car ce ne sont pas les insidieux discours de sa maîtresse qui auraient pu jamais la faire naître en lui. En revanche, lorsque cette jalousie est née, Fanny ne trouve pas un mot pour l’apaiser. Ses ressources morales sont bornées : elle a à son service un certain nombre de phrases qui reviennent périodiquement, et qui doivent être pour Roger une médiocre récompense, une consolation plus médiocre encore. Les paroles de Fanny sont pleines d’une résignation tout à fait concise, et ses sentimens s’expriment sous une forme laconique, (c Mais si on nous découvrait? dit Roger. — Que veux-tu! répond Fanny. — Je suis horriblement jaloux. — Que tu es enfant! — Comme je souffre! — Tu perds ton temps. » Tel est le résumé exact et fidèle des conversations de Roger avec sa maîtresse. Il est vrai que Fanny complète ces monosyllabes par des caresses; mais comme, moins heureux que Roger, nous ne les recevons pas, nous aimerions, en échange de cette pantomime expressive, mais muette, quelques scènes d’un drame parlé.

Et cependant, malgré leur insignifiance et leur néant moral, ces