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geurs et de soldats, nombreux, plein de ressources, très grand de toutes manières, par ses origines, par son histoire et par ses mœurs ; héroïque à la façon d’Alexandre, aventureux comme lui, comme lui faisant de la guerre un voyage armé ; père d’une religion qui a failli couvrir le monde ; répandu jusqu’aux extrémités de l’Orient, sans être à proprement parler maître nulle part ; vivant ainsi dans des pays incomparables, et toujours portant sur son visage, comme un air de noblesse, la beauté même de sa destinée. — L’autre est un petit peuple d’artisans, de boutiquiers, de rentiers et de scribes, très bourgeois, un peu mesquin dans ses mœurs, comme il est étriqué dans son costume ; élégant, mais sans grandeur, joli plutôt que beau, tout juste aisé, jamais pauvre, et qui n’atteint au splendide ni par le luxe ni par les misères. Chacun d’eux d’ailleurs a son orgueil, et ce serait leur faire une injure égale que de se tromper de nom, comme avec deux individus consanguins.

Ce qui manque à ce dernier peuple, c’est précisément ce que le premier possède en excès, ce quelque chose que j’appellerai la grandeur, ou, pour parler en peintre, le style. Les Maures n’ont aucun style ; cela tient beaucoup à leur personne, beaucoup aussi au milieu dans lequel on les voit. Tout autour d’eux est petit et contribue à les diminuer : leurs rues étroites, leurs boutiques à peine habitables, leur vie sédentaire, et leur habitude d’être assis à la turque plutôt qu’étendus à l’arabe. Leur costume les habille avec grâce et ne les drape pas ; il est étroit, il manque d’abondance et de plis, n’ajoute rien à l’importance de l’homme, et amoindrirait au contraire celle qu’on lui suppose. Un vêtement plus ample fait, je ne sais pourquoi, présumer des passions plus fortes, une âme plus grande. C’est un préjugé d’ordre artistique, si tu veux ; mais ici, bien entendu, je parle en artiste. Avec leur veste collant à la taille, leur culotte en forme de jupe, et leur ceinture, que beaucoup portent lâche, il est aussi difficile aux vieillards de paraître majestueux qu’aux jeunes gens de ne pas avoir l’air efféminé.

Efféminé, voilà, je crois, le mot qui convient, car il définit leur caractère, s’adapte à leurs goûts, précise exactement leurs aptitudes, les résume au physique comme au moral, et les juge. N’est-ce pas le propre des pays de gynécées de produire une sorte de confusion dans les sexes et d’affaiblir l’un dans la mesure même où l’autre est dégradé ? Chose bizarre, en même temps qu’elle disparaît de la vie publique, la femme aussitôt se manifeste dans le tempérament de la race ; moins on lui reconnaît d’importance extérieure, plus elle en acquiert par le sang. On la méprise en raison de l’abus qu’on fait d’elle : elle est cloîtrée, oisive, on l’assimile aux objets de luxe ou de plaisir ; mais l’homme alors la remplace, et en vient à lui