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12 janvier.

Voici la pluie. Elle a commencé ce soir à trois heures par quelques gouttes larges et rares. J’achevais ma promenade au moment où ce signal d’espérance imploré par tout le pays s’échappa comme avec effort d’un ciel orageux, mais obstinément aride. Je n’en fus pas surpris, car j’étais sorti pour l’attendre. Il y avait huit jours que le temps se préparait à un changement ; l’air était devenu trop sonore pour rester longtemps serein, et le ciel, d’un bleu particulier, ne permettait plus de croire à la durée des beaux jours. Ce sont des nuances, mais qu’on distingue avec un peu d’habitude. Intérieurement aussi, je sentais approcher la pluie par un pressentiment qui n’a rien d’imaginaire.

J’arrivais près d’un champ qu’un laboureur arabe en tunique courte était en train d’ensemencer d’orge ; il achevait d’en recouvrir les derniers sillons, y poussant à fleur du sol une petite charrue primitive attelée de deux vaches maigres. En voyant le temps si bien disposé pour les semailles, il aiguillonnait les animaux, et se hâtait de manière à terminer son travail avant la nuit, calculant sans doute avec certitude que demain il serait trop tard. À l’extrémité du champ déjà labouré, deux enfans, aussi de race arabe, faisaient brider de grands tas d’herbes nuisibles, d’où s’échappaient d’épais tourbillons de fumée d’une odeur acre. Je reconnus avec quelque surprise en pareil lieu l’odeur si commune en France des champs brûlés ; ce faible indice était le premier qui sensiblement m’eût indiqué l’automne.

Je m’assis et regardai ce champ rayé de sillons bruns, où je voyais deux choses assez rares dans ce pays d’insouciance : une charrue arabe en travail, des enfans indigènes partageant avec leur père les soins donnés au labourage. Les petites vaches, non pas accouplées sous un joug, mais attelées par le poitrail et tirant des épaules à la manière des chevaux, soufilaient d’épuisement, quoique le travail ne fût pas rude, car la terre était à peine entamée.

À ce moment, je remarquai que les fumées, lourdes jusque-là, tournèrent. Un vent léger, mais frais, arriva de l’ouest, et suivit le pied des coteaux, en faisant sur son passage le bruit d’un oiseau de grande envergure. La campagne en fut comme étonnée, et les uns après les autres, par un mouvement brusque, tous les arbres de la plaine en frissonnèrent. Ce ne fut qu’un instant. Le souffle passé, tout rentra dans un calme plat. C’est alors que les premières gouttes de pluie tombèrent.

Rien n’était plus reconnaissable, ni Alger, qui ne formait alors