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l’ai reconnu de loin à sa casquette jaunâtre, la même qu’il portait il y a quatre ans ; il fumait sa petite pipe courte à tuyau de cerisier sans bouquin, et toute sa personne a conservé ce même air un peu bizarre qu’il est également impossible de définir et d’oublier.

J’ai loué la maison proposée par Vandell, et il a été convenu que nous y camperions ensemble. Cette maison est située à l’extrémité de la ville, sur une place déserte plantée d’orangers et séparée seulement des grandes orangeries extérieures par le mur fortifié du rempart. Nous avons d’un côté la vue de la plaine, de l’autre celle de la montagne, que nous croirions toucher de la main, tant elle est proche et domine de haut la ville assise à ses pieds. Quoique la terrasse, en mauvais état, ait laissé couler la pluie dans toutes les chambres, ce logis paraît très habitable. Un ruisseau qui passe au-dessous de la maison même sort de tene à ma porte, et fait entendre parmi les cailloux le petit gargouillement continu d’une eau courante. À six pas de là pousse un grand cyprès à feuillage en pointe, à tronc unique. Il reçoit le soleil toute la journée et dans toute sa hauteur. Son ombre, qui fait autour du tronc sa révolution complète, dessine sur le terrain plat un cadran parfaitement régulier : j’en marquerai les divisions par des cailloux, et ce sera mon horloge.


Blidah, février.

Vandell n’a pas plus changé d’habitudes qu’il n’a changé de physionomie et de costume. Il ne ressemble à personne, mais il ressemble’ et ressemblera toujours à lui-même ; il est singulier, mais inaltérable. Il y a bien quelques fils gris mêlés à sa chevelure, qu’il porte coupée ras, et dans sa barbe, qu’il laisse au contraire croître à volonté ; mais ces légers changements sont presque invisibles. Quant à son visage, il est de ceux qui n’ont plus rien à perdre ni en fraîcheur ni en embonpoint. Aussi brun qu’un homme blanc peut l’être, aussi maigre que peut l’être un honune en santé, le voyageur est maintenant à l’épreuve de la fatigue, du soleil et des années, et dans un état à les braver avec sécurité. Il ne paraît plus qu’il ait été jeune ; on ne verra jamais dans quelle mesure il vieillit ; je défie dorénavant qu’on lui donne un âge. Toujours bien portant, d’autant mieux qu’il .est plus sec, alerte et maître de ses jambes comme un excellent piéton devenu, par nécessité, cavalier médiocre, Vandell ne prend d’autres soins de ce qu’il appelle son enveloppe que ceux qui consistent à la rendre utile aux services qu’il attend d’elle, et tu peux imaginer s’ils sont excessifs. Son unique souci, c’est de diminuer le dedans et d’épaissir le dessus ; en d’autres termes, de réduire ses muscles et d’endurcir sa peau. Il a sur ce sujet une philosophie