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descend, accompagnée, dans cette saison, d’un épais brouillard qui rend douteuse et bleuit l’extrémité des rues les plus courtes. Le pavé se mouille et le pied glisse un peu dans ces demi-ténèbres, car cette partie de la ville est mal éclairée. Le côté du couchant nage alors dans des lueurs violettes ; les architectures deviennent singulières, et le ciel, qui peu à peu se décolore, semble, l’une après l’autre, les faire évaporer. On n’aperçoit plus que vaguement tout ce peuple étranger qui regagne les rues qu’il habite, s’y amasse confusément et les rétrécit. On entend autour de soi parler dans une langue rauque et un peu bizarre ; on distingue la voix des femmes à leur parler plus doux, et celle des enfans à des intonations criardes. Des petites filles passent, portant sur leur tête la planche aux pains et se glissent parmi la foule en disant : Balek ! On frôle, sans définir aucune attitude, des femmes voilées, que la blancheur de leurs vêtemens fait reconnaître et qui semblent se dérober. Alors, pour peu qu’on ait le goût des rêves et des conjectures, il est possible de recomposer toute une société morte, et permis de supposer beaucoup de choses qui n’existent plus, en fait d’art comme en fait de galanterie.


25 février.

Je ne m’attendais guère à ce qui m’arrive. J’ai retrouvé ma Mauresque inconnue du carrefour de Si-Mohammed-el-Scheriff ; elle habite Blidah, et, pour dire les choses à la française, je suis autorisé à me présenter chez elle demain à midi.

On tambourinait aujourd’hui, vers deux heures, dans une petite rue du voisinage. Outre le bruit des crochets de bois frappant sur les peaux tendues, un cliquetis de castagnettes de fer et des voix de chanteurs nous arrivaient par-dessus les terrasses. — Venez-vous entendre un peu de musique ? me dit Vanclell. — Volontiers, lui dis-je, et puisque nous voilà réduits aux concerts nègres, allons. — Je dois noter ici que mon ami Vandell, très indulgent d’ailleurs pour les Arabes, leur pardonne difficilement de n’être pas musiciens. — Vous connaissez leur prétention, me disait-il chemin faisant ; ils ont la vanité de supposer que les fleurs de certaines plantes, en particulier du bouillon et de l’armoise, tombent de leur tige lorsqu’ils jouent de leur mizmoune. C’est une vieille imagination latine dont ils ont hérité je ne sais comment :


Ilicibus glandes, cantataque vitibus uva
Decidit……


La maison d’où venait le bruit avait un mur démoli sur la rue, de sorte que, par une grande brèche ouverte à hauteur d’appui, nous