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tendre ou de les réciter. Tout cela est entremêlé de jeux de mots, la plupart combinés pour l’oreille, reposant sur des assonances, et par cela même intraduisibles, puis de maximes, de concetti , de proverbes, et sous ce rapport le scribe Ben-Hamida est bien l’expression fleurie et littéraire du génie primordial arabe. Yandell raconta dans le style obligé, c’est-à-dire avec les onomatopées les plus figuratives, le siège récent dont il avait été témoin. Il reproduisit le bruit du canon par un mouvement des lèvres très imitatif, et, voulant donner l’idée d’une bataille acharnée, il répéta le plus longuement et le plus fréquemment qu’il put les ba, ba, ba interminables par lesquels un Arabe accompagne ordinairement le récit d’une aventure où la poudre a beaucoup parlé. Il fut ensuite question des djerad (sauterelles), qui, dit-on, fourmillent dans le sud, et qui bientôt vont se mettre en voyage. On a pris des mesurescommande des corvées, organisé des battues pour les détruire : échapperont-elles ? Et à ce propos un ancien Blidien, le marchand Ben-Saïd, raconta, d’après son père, qui le tenait de son père, lequel avait assisté très vieux déjà, mais de sa personne, à ce grand désastre, l’invasion sans pareille de 1724 à 1725, comment ce fut une plaie comparable à celles décrites dans les histoires juives, comment les djerad avaient tout détruit, mais surtout les vignes, mangeant les pampres, puis le sarment, puis dévorant jusqu’au cep lui-même. Le feu n’aurait pas été plus prompt ni plus funeste : jamais depuis les vignes n’ont produit, et le vin de Blidah, fameux jadis, n’existe plus depuis cette époque. On en extermina des milliards de milliards, sans que le nombre en parût diminué ; le ciel en était obscurci, la ville encombrée, l’eau des sources empoisonnée. On se vengea comme on put de ce fléau maudit, on en fit des fritures, des confitures, des salaisons et du fumier ; enfin un fort vent du sud, s’étant élevé, emporta vers la mer cette armée de bêtes enragées, et les y noya.

— Après quoi elles se changèrent en crevettes, et les gens du Fhas les y péchèrent, ajouta Ben-Hamida, qui paraît s’égayer beaucoup des superstitions de son pays.

Là-dessus, on disserta des monstres : depuis le dragon des Hespérides jusqu’au Niam-niam, l’Afrique a toujours passé pour en produire. — « L’Afrique produit toujours quelque chose de nouveau, » ditVandell, qui fit à son tour l’érudit ; ceci est une maxime ancienne. Et après avoir cité Aristote, il en donna, d’après Pline, le commentaire savant que voici : « La rareté de l’eau obligeant les animaux à s’assembler pêle-mêle près d’un petit nombre de rivières, les petits ont toute sorte de formes étranges, vu que les mâles, soit de gré ou de force, s’accouplent indistinctement avec les femelles de toute