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gue et surtout les habitudes de l’ennemi ; Mustapha fut désigné. L’affaire eut lieu, on se battit. Vers la fin de l’action, deux cavaliers se rencontrèrent, échangèrent le feu croisé de leurs pistolets, puis se chargèrent, pour s’aborder, le plus jeune avec le sabre, le plus âgé avec la lance. Au moment où les chevaux allaient se toucher, les combattans se reconnurent : — C’est toi, Mustapha ! — — C’est toi, Béchir ! — Béchir, au dire des Arabes, était un héros, beau, intrépide et montant des chevaux admirables. Il s’arrêta tout droit devant le jeune homme, fit seulement le geste de lui effleurer l’épaule afin de ne déchirer que le burnouss, et lui jeta sa lance. — Prends-la, dit-il, va la porter au général *** et dis-lui que tu as enlevé la lance de Béchir. — Puis, désarmé, les deux mains vides, il tourna bride et disparut.

Ainsi finit la soirée, par une légende héroïque. Nous nous séparâmes vers dix heures, au moment où le clairon de la caserne des Turcs sonnait le couvre-feu. Chacun alors alluma sa lanterne, chaussa ses babouches, releva le capuchon de son burnouss, et nous sortîmes tous ensemble, excepté l’Hadjout, qui resta chez le barbier et parut devoir y passer la nuit ; ce fut dans la rue qu’eurent lieu les salam-aleikoum et aleikoum-salam du départ. — Ce n’est pas peu de chose qu’un ami, nous dit Hamida en prenant chaleureusement les mains de Yandell et les miennes, — et ce n’est pas trop de mille. — Puis, sur ce dernier proverbe, dit de la façon la plus aimable, le jeune taleb de zaonïa, ex-collégien de Saint-Louis, s’en alla en chantonnant par les rues tranquilles.

— Charmant, mais hypocrite, me dit Yandell quand nous fûmes seuls, — homme à la langue douce et qui savra téter les lionnes. — Quant à l’Arabe, continua-t-il, celui que nous laissons chez Hassan, il a sur la conscience un petit péché qui le rend un peu taciturne, car il sait que la justice a les yeux sur lui. Un soir qu’il rentrait au douar avec un cousin dont il avait, dit-il, à se plaindre, tous les deux à cheval et par des chemins écartés, il laissa son compagnon passer devant, prit un pistolet et le lui déchargea dans les reins. Le cheval, sans cavalier, rentra au douar. Le cadavre ne fut découvert que quelques jours après, parce qu’on vit beaucoup de corbeaux et de milans tourner en cercle au-dessus des broussailles. La blessure était impossible à reconnaître sur un corps mis en lambeaux par les bêtes de proie. Cependant on soupçonna la vérité, et Amar-ben-Arif fut interrogé ; mais l’affaire en resta là faute de preuves. C’était une querelle de famille, une rancune de jalousie, je crois. Le fait du coup de pistolet est positif : c’est Amar-ben-IIarif lui-même qui me l’a conté.

— Pour ce qui vous regarde, ajouta Yandell, voici quelques dé-