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Nous continuâmes notre promenade en parlant très philosophiquement de la mort. — Je n'y crois pas, me disait mon compagnon. C'est un passage sombre que chacun de nous rencontre à un moment donné dans sa vie. Beaucoup de gens s'en alarment, ceux à qui l'obscurité fait peur comme aux enfans. Quant à moi, les trois ou quatre fois qu'il m'est arrivé de m'en trouver tout près, j'ai vu de l'autre côté une petite lumière, je ne sais trop laquelle, mais évidente, et qui m'a tout à fait tran'quillisé.


Avril.

J'ai revu Haoûa souvent depuis trois semaines, et décidément nous voilà bons amis. Le début présageait au reste que nous n'aurions pas grand'peine à le devenir. Vandell, qui s'accommode à peu près de tout ce que je lui propose, m'accompagne ordinairement dans mes visites. Nous allumons en son honneur le narghilé. C'est là son droit d'interprète, et comme le narghilé a trois branches et que chacun de nous peut ainsi disposer d'un tuyau, souvent alors nôtre conversation consiste à faire à tour de rôle murmurer, dans le vase en cristal, l'eau parfumée de rose où se rafraîchit la fumée. Nous passons ainsi des après-midi chaudes ou des soirées, indolemment couchés sur des coussins. J'ai toute liberté de fouiller dans les meubles d'Haoûa, et j'en profite. J'ouvre ses grands coffres couleur de cinabre, à serrure de cuivre, et j'en tire tantôt sa garde-robe et tantôt ses bijoux. C'est un vestiaire arabe des plus riches et des plus variés : vestes d'été, vestes d'hiver; petits gilets tout chargés d'orfèvrerie, avec d'énormes boutons d'or ou d'argent ; kaftans de drap ou de soie, pantalons de négligé, de tenue moyenne ou d'apparat, depuis la simple cotonnade ou la mousseline des Indes jusqu'au lourd brocart chamarré de soie et d'or; plus un assortiment de fouta pour entourer la taille, de guimpes légères pour accompagner le turban, de mouchoirs de tête et de ceintures, tout cela bizarrement appelé de noms inutiles à dire et bariolé des couleurs les plus tranchantes. Les bijoux sont réunis à part, empaquetés dans un foulard ; ce sont des anneaux de jambes, des bracelets, des gourmettes en sultanins, des miroirs de main à manche écaillé de nacre ; les pantoufles y sont aussi comme représentant de vrais bijoux par le luxe et pour la valeur.

— Tu as donc hérité d'un sultan, dis-je à Haoûa le jour où je découvris ce riche mobilier et cette fortune de femme élégante.

— Ce n'est pas un sultan qui m'a donné cela, c'est mon mari.

— Lequel ? interrompit Vandell, sans se douter que sa plaisanterie devait s'appliquer si juste.

— Celui qui est mort, répondit Haoûa assez tristement pour nous convaincre qu'elle avait été veuve.