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taine hauteur par un crochet de fer et sous lequel de joyeux buveurs s’attablaient en plein vent. De ces anciens inns, les uns ont disparu, les autres ont été retouchés, rajeunis, transformés, surtout depuis l’introduction des chemins de fer. Ces maisons, quoique mises plus ou moins en harmonie avec les idées et les besoins du jour, ont conservé sous le fard du replâtrage un air de vétusté et un caractère à part qui les désignent à l’intérêt de l’artiste. Là on respire l’air du vieux temps; les poètes anglais se sont plu à colorer de teintes flatteuses ces époques évanouies de leur histoire; peut-être n’est-ce au fond qu’un aveu de l’impuissance du cœur humain, qui, inhabile à saisir le bonheur dans le présent, le place dans les fictions du passé ou dans les rêves de l’avenir. Les public-houses ou palais de gin (gin-palaces) ont remplacé les anciens cabarets; les taverns, il y a lieu de le croire, remplaceront les public-houses. Ces établissemens ne se caractérisent d’ailleurs que par des nuances. Les tavernes sont tenues sur un pied plus respectable : on y vend du vin en même temps que de la bière, on y trouve une table mieux servie que dans les cabarets ordinaires; mais dans un temps où, selon l’expression d’un conservateur anglais, personne ne veut se tenir à sa place, cette distinction tend de jour en jour à s’effacer, les humbles public-houses ayant pour la plupart la prétention d’être ou de devenir des taverns.

L’intérieur de ces établissemens si nombreux présente quelque intérêt en ce qu’il explique la société anglaise. Il y a d’abord la salle du comptoir (bar-room), sorte de terrain neutre sur lequel des hommes et des femmes debout se rencontrent pour étancher leur soif aux flots d’ambre liquide. Le publicain détache à chaque nouveau-venu un des pots de différentes mesures qui pendent au râtelier, presse avec la main le manche en ivoire ou en acajou d’une machine à bière (beer-engine), d’où la noire ou blonde liqueur sort en écumant. Les pots d’étain n’ont pas, je l’avoue, l’élégance des vases étrusques, mais ils sont d’une bonne forme saxonne que le temps a peu modifiée. Le comptoir est pour ainsi dire l’antichambre du public-house. On ne s’y arrête guère, on y passe. Là se pressent tous les types de Londres, le brocanteur, le chasseur aux décès et aux incendies (death and fire hunter), le marchand ambulant d’anguilles bouillantes, hot eels, avec ses boîtes de fer-blanc, le saltimbanque, l’exhibiteur de marionnettes avec son théâtre, dont les deux principaux acteurs sont Punch et Judea, le marchand de cresson de ruisseau, le mendiant de profession, le joueur d’orgue, l’aristocratique balayeur des rues, le Juif marchand de vieux habits, la revendeuse à la toilette. Les autres divisions du public-house sont le top-room et le parlour. Le tap est le rendez-vous de