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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/36

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publiques et sociales, se reconnaîtrait encore dans bien des cas où il est moins apparent, par exemple dans la révolution française. L’esprit spéculatif passant des livres aux choses est une des plus puissantes causes, sinon la plus puissante, de ce grand événement ; mais enfin il y a d’autres causes encore qui agissent dans le monde social, et généralement ce n’est point par cette voie méthodique, par le procédé baconien, que se sont établies la plupart des choses qui composent la civilisation. Les résultats de faits antérieurs et même accidentels en peuvent engendrer d’autres et devenir en eux-mêmes des causes permanentes : ce sont autant de points d’appui, de poids ou de leviers ; ce sont des ressorts ou des résistances. Ils ne disparaissent pas à volonté, non plus que les causes qui les ont produits. N’en tenir aucun compte serait mutiler la réalité, serait se créer des difficultés ou se priver de secours. Le présent tout au moins n’est pas une création raisonnée de l’esprit humain. En sera-t-il autrement de l’avenir ? Le monde doit-il un jour relever tout entier de la science ? On peut en douter. Que l’on préfère la voie méthodique à toute autre, que l’on conseille fortement aux hommes de tout chercher et de tout régler par la raison, le vœu est beau, le conseil est bon, et j’y souscris pour mon compte. Seulement, il faut bien le remarquer, ce n’est encore au fond et en termes différens que le souhait de Platon, de voir unies la philosophie et la royauté. J’accepte de tout mon cœur la pensée de Platon ; mais, comme toute pensée purement philosophique, c’est un idéal. Ne la dédaignons pas pour cela : une pratique sans un idéal ne vaut guère, et c’est elle qu’il faut mépriser. Cependant qui confond l’idéal avec le réel compromet ou diminue l’un et l’autre ; il court à sa perte ou à l’impuissance. Il faut tendre à ce qui doit être avec ce qui est ; il faut y travailler avec ce qui est.

Il y a de par le monde des religions, des philosophies, des littératures, des arts, des législations, des coutumes, des pouvoirs, enfin de grandes associations constituées qui ont des souvenirs, des opinions, des intérêts et des forces, et ces associations s’appellent des nations, d’où la guerre et la paix. Aborderez-vous tout cela par la méthode des recherches ? conseillerez-vous aux hommes de soumettre tout cela à l’inquisition du scepticisme ? Oui assurément, s’il s’agit de science ; mais s’il est question de civilisation et de progrès effectif, comment faire, et par où commencer ? Il se peut que dans un pays donné rien ne résiste à la critique, et que la société tout entière s’évapore dans le creuset de l’analyse. Voilà dans ce cas l’esprit humain obligé de tout reprendre à nouveau et de tout faire de rien. Cherchons un exemple. Il ne faudrait pas un grand effort de philosophie pour démontrer que la guerre est un mal, une des plaies