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qu’on prête à la loi de succession. On oublie que le principe du partage égal n’est pas nouveau, il existait sous l’ancien régime pour les propriétés non nobles, le code civil n’a l’ait que le généraliser; il n’a pas eu d’ailleurs les conséquences dont on l’accuse, puisque le nombre des riches s’est accru sous son empire. C’est avec la loi du partage égal que, sous l’ancien régime, le tiers-état avait grandi en richesse et en puissance, au point de pouvoir dire en 1789 qu’il était la nation même. C’est avec le droit d’aînesse et les substitutions que la noblesse avait perdu sa richesse, presque son existence, car les trois quarts des nobles n’étaient que des bourgeois enrichis. Le véritable effet du partage égal est de stimuler l’activité individuelle; avec lui, les aînés ne sont pas beaucoup moins riches, et les cadets le sont davantage, parce que tous héritent d’une partie de leur fortune et ont l’autre à créer. « L’avantage du droit d’aînesse, disait ironiquement en Angleterre le docteur Johnson, c’est qu’il ne fait qu’un sot par famille. » Souvent même il fait pis qu’un sot. De même, la substitution, qui paraît un obstacle à la dissipation, la favorise, en ce qu’elle donne à une classe de la société le privilège d’une banqueroute légale et périodique. Ce fatal privilège tourne contre ceux qui l’exercent; il dispense d’ordre, de travail et même de moralité; il nuit doublement à la bonne administration du sol, en le retenant de force entre les mains de ceux qui l’épuisent et en ôtant à ceux qui pourraient l’améliorer les moyens et jusqu’à l’envie de l’entreprendre. Ces combinaisons légales manquent donc leur but, elles n’aident que faiblement à conserver la richesse acquise et elles empêchent de l’augmenter. Peu importe que la richesse se divise, pourvu qu’elle s’accroisse, et, pour mieux dire, il est heureux qu’elle se divise, puisque la division est un moyen d’accroissement.

Quoi qu’il en soit, cette question de la loi de succession est distincte de la confiscation. L’une fait partie des conséquences légitimes, l’autre des conséquences illégitimes de la révolution. Elles n’ont de commun que la tendance à la division du sol, et sous ce rapport toutes deux ensemble ont eu assez peu d’effet. Il y a même un troisième agent de division qui diminue encore la part des deux autres; c’est ce qu’on a appelé en France la bande noire et en Allemagne les bouchers de domaines. Tout le monde sait combien la spéculation des ventes au détail, regrettable à quelques égards, utile à beaucoup d’autres, et qui a fait en définitive plus de bien que de mal, a eu d’activité depuis un demi-siècle. Elle a contribué plus que toute autre cause à la division, car elle a cet avantage qu’elle n’agit qu’à propos, dans la mesure des besoins, et comme une conséquence naturelle du libre mouvement des intérêts privés. Rien ne prouve mieux combien la révolution avait laissé son œuvre incomplète, puisque, même après elle, une spéculation pareille a pu se