qui nous inspire à nous une répugnance presque aussi profonde que l’émigration matérielle qui fut si funeste à la France il y a plus de soixante ans. Certes, depuis qu’il existe des sociétés politiques, la controverse est ouverte sur le mérite des constitutions. Aristote a énuméré plus de trois cents constitutions différentes dans sa Politique, et qui sait le chiffre auquel un philosophe moderne pourrait porter le nombre de ses observations dans une étude de cet ordre? Aucun homme doué de raison ne revendiquera donc pour une constitution ces deux qualités refusées aux œuvres humaines : la perfection et la finalité. En revanche, tout homme qui ne sera point dépourvu de sens commun devra chercher et trouver des garanties dans la constitution établie de son pays, et sera tenu à ce titre de la respecter. C’est ce que nous sommes résolus à faire pour notre part. La constitution de 1852 se place elle-même sous l’invocation des idées toujours militantes de la révolution française : au lieu d’y voir des obstacles aux libertés dont nous poursuivons le développement, nous préférons donc y chercher un abri contre les hostilités que ces libertés pourraient rencontrer dans leur marche. Si cette opinion devait paraître paradoxale à quelques-uns, ce ne serait point en tout cas à ceux qui font état, suivant la vieille locution française, de défendre les institutions actuelles. Telle est notre profession de foi : on voit qu’elle ne nous expose point aux interprétations fâcheuses qui ont couru dans les correspondances étrangères. Après cela, avons-nous besoin de justifier auprès de nos lecteurs le ton de nos discussions? Avons-nous jamais, par quelque excès de langage, donné le droit de douter de la modération de nos sentimens envers les personnes? Et ferions-nous vraiment injure au caractère de nos adversaires, si nous avions jamais le malheur d’en avoir, en les supposant capables d’endurer une contradiction polie dans les discussions que la constitution autorise ou tolère?
Nous n’avons point à regretter par exemple d’avoir à plusieurs reprises, depuis la tragédie de la Regina-Cœli, signalé à l’attention du gouvernement et du public les graves inconvéniens du système des émigrations prétendues volontaires de la côte d’Afrique. Nous appelions les investigations d’une enquête sérieuse et la lumière de la publicité sur les circonstances du commerce des émigrans noirs inauguré en 1852. Une lettre de l’empereur au prince Napoléon, publiée dans le Moniteur du 8 novembre, vient de donner satisfaction aux vœux et aux généreuses sollicitudes dont nous n’avions point hésité à nous constituer les organes. La lettre de l’empereur prouve que les faits n’ont point répondu aux intentions qui guidaient le gouvernement lorsqu’il autorisa le trafic des émigrans noirs. Cette autorisation, vainement sollicitée par certains négocians de nos ports de mer sous le règne de Louis-Philippe et sous la république, ne fut obtenue qu’en 1852. Il est évident que le gouvernement avait espéré que la petite république noire du Libéria serait capable d’alimenter l’émigration libre; mais les résultats ont trompé cette espérance, et la lettre de l’empereur corrige noblement une méprise dans laquelle le sentiment de son honneur ne permettait point à la France de s’obstiner. Quant à nous, nous n’avons pas besoin d’attendre les résultats de l’enquête annoncée pour porter un jugement sur le système des engagemens des noirs sur la côte d’Afrique. Notre conviction est depuis