J’ai quitté la France il y a deux jours, comme je te l’écrivais de Marseille en fermant ma lettre par un adieu, et déjà je t’écris d’Afrique. J’arrive aujourd’hui 27 octobre, amené par un grand vent du nord-ouest, le seul, je crois, qu’Ulysse n’eût pas enfermé dans ses outres, le même auquel Enée sacrifia une brebis blanche, celui qu’on appelait Zéphyre, joli nom pour un très vilain vent. On l’appelle aujourd’hui mistral ; il en est ainsi, hélas ! de tous les souvenirs laissés dans ces parages héroïques par les odyssées grecques et latines. Les choses restent, mais la mythologie des voyages a disparu. La géographie politique a fait trois îles espagnoles des trois corps du monstrueux Géryon. La vitesse a supprimé jusqu’aux aventures ; tout est plus simple, plus direct, pas du tout fabuleux et beaucoup moins charmant. La science a détrôné la poésie ; l’homme a substitué sa propre force aux dieux jaloux, et nous voyageons orgueilleusement, mais assez tristement, dans la prose. La mer est ce qu’elle était ; on peut dire d’elle tout le bien et tout le mal possible, car elle est encore la plus belle, la plus bleue et peut-être la plus perfide des mers du monde. Mare sœvum, disait Salluste, qui ne faisait plus de métaphores et déjà parlait en historien des flots orageux qui le conduisaient à son gouvernement d’Afrique.
Ainsi quarante-six heures à peu près de fort roulis, un trajet trop long pour le plaisir qu’on y trouve, trop court pour donner