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de la curiosité. Il est exceptionnel, et l’histoire atteste que rien de beau ni de durable n’a été fait avec des exceptions. Il échappe aux lois générales, les seules qui soient bonnes à suivre. Enfin il s’adresse aux yeux, peu à l’esprit, et je ne le crois pas capable d’émouvoir. Je parle ici de ceux, et c’est le plus grand nombre, qui ne l’ont pas habité, et n’ont pas, pour le comprendre, l’intime familiarité des habitudes et l’affectueuse émotion des souvenirs. Même quand il est très beau, il conserve je ne sais quoi d’entier, d’exagéré, de violent, qui le rend excessif, et c’est un ordre de beauté qui, ne rencontrant pas de précédens dans la littérature ancienne ni dans l’art, a pour premier effet de paraître bizarre.

« D’ailleurs il s’impose avec tous ses traits : avec la nouveauté de ses aspects, la singularité de ses costumes, l’originalité de ses types, l’âpreté de ses effets, le rhythme particulier de ses lignes, la gamme inusitée de ses couleurs. Changer quoi que ce soit dans cette physionomie si nettement nouvelle et décisive, c’est l’amoindrir ; apaiser ce qu’elle a de trop vif, c’est l’affadir ; généraliser une pareille effigie, c’est la défigurer. Il faut donc l’admettre en son entier, et je défie qu’on échappe à cette nécessité d’être vrai quand même, d’en exprimer d’abord les côtés bizarres et d’être conduit par la logique même de la sincérité jusqu’à l’excès forcé du naturalisme et du fac-similé.

« Il en résulte dans chaque genre également une aberration pareille et certaine.

« Le peintre qui bravement prendra le parti de se montrer véridique à tout prix rapportera de ses voyages quelque chose de tellement inédit, de si difficile à déterminer, que, le dictionnaire artistique n’ayant pas de terme approprié à des œuvres de caractère si imprévu, j’appellerai cet ordre de sujets des documens. J’entends par documens le signalement d’un pays, ce qui le distingue, ce qui le rend lui-même, ce qui le fait revivre pour ceux qui le connaissent, ce qui le fait connaître à ceux qui l’ignorent ; je veux dire le type exact de ses habitans, fût-il exagéré par le sang nègre, et n’eût-il pas d’autre intérêt que son extravagance, leurs costumes étrangers et étranges, leurs attitudes, leur maintien, leurs coutumes, leur démarche, qui n’est pas la nôtre. Or, comme il n’y a plus de limite aux investigations du voyageur lorsqu’il a pris pour règle l’exactitude, nous saurons et nous verrons, à n’en plus douter, d’après ces images minutieuses copiées avec la scrupuleuse authenticité d’un portrait, comment le peuple d’outre-mer s’habille, comment il se coiffe, comment il se chausse. Nous apprendrons quelles sont ses armes, et le peintre les décrira autant qu’un pinceau peut décrire. Les harnais des montures, il faudra de même qu’on les connaisse ;